AVANT-PROPOS
Nous présentons ici l’histoire peu connue de l’homme qui en est à son origine. Nous n'abordons pas la méthode du training autogène en elle-même que nous ne remettons pas en question.
CONSTATS :
Depuis 1958, les rééditions de la 4eme de couverture de cet ouvrage, l’introduction et la présentation sur internet n’ont pas été mises à jour. Elle sont erronées et ne mentionnent pas les actes et la position eugéniste de Schultz depuis 1933, dans l’Allemagne nazie et même après-guerre dans d’autres publications.
La présentation de l’ouvrage indique que Johannes Heinrich Schultz (1884-1970), professeur de neurologie et de psychiatrie, se spécialisa en psychothérapie et dirigea l’Institut allemand de recherches psychologiques et psychothérapeutiques. Il rencontra Freud en 1911 et contribua à diffuser en Allemagne les théories freudiennes.
Or ces quatre arguments omettent des contre-vérités regrettables, et ne sont plus recevable actuellement d’un point de vue scientifique et historique.
1. « Spécialisé en psychothérapie » : Sa méthode de psychothérapie, si l’on ose encore aujourd’hui la nommer « psychothérapie », consistait notamment à amener les homosexuels à accepter l’émasculation pour le bien du peuple. Johannes Einrich Schultz, a donc adhéré à des pratiques nazies incompatibles avec l’éthique professionnelle.
2. « L’institut allemand de recherches psychologiques et psychothérapeutiques » : L’expression incomplète n’indique pas ce qu’était cet Institut. Car Schultz sera sous-directeur de 1936 à 1945, de l'Institut Göring de psychothérapie et de recherche en psychologie du 3eme Reich, sous la direction du psychiatre Mathias Göring (cousin d’Hermann Göring).
3. « Il rencontra Freud en 1911 et contribua à diffuser en Allemagne les théories freudiennes » : Schultz a agi tout à fait à l’inverse. Aucune référence à cette supposée rencontre n’est mentionnée. Cet argument est aujourd’hui d’autant plus étonnant que Matthias Göring a interdit toute psychothérapie étrangère aux concepts nazis. Les psychanalystes juifs et leurs méthodes psychanalytiques étaient bannis. Les autodafés des travaux de Freud sont de notoriété publique.
Schultz était parfaitement conscient des conséquences fatales de son système diagnostique, pseudo scientifique, en utilisant le terme de « peine de mort sous forme d’un diagnostic ». Afin de différencier les homosexuels « héréditaires » de ceux « guérissables », son système diagnostique consistait à les contraindre à des actes sexuels avec des prostitués et envoyait ceux qui échouaient dans les camps, où ils étaient condamnés à mort, abandonnés au programme nazi "d’euthanasie". Mais sans preuve empirique suffisante pour prouver sa méthode diagnostique, la méthodologie de Schultz faisait défaut de manière abyssale sur ce point (ce qui n’a peut-être pas été le cas concernant sa méthode de relaxation). C’est en totale adhésion avec le point de vue nazi que Schultz a activement participé au projet Aktion T4 visant l'extermination des aliénés, handicapés et homosexuels. Dans l'Institut, il y a participé en se consacrant aux hommes homosexuels qui avaient l’obligation de porter le triangle rose.
L’émasculation « volontaire » était également « proposée » par la police aux homosexuels poursuivis. La castration forcée, était imposée dans certains cas, au titre des lois de prévention des maladies héréditaires et des crimes sexuels. Selon les sources, entre 1939 – 1945, 10 000 à 20 000 hommes homosexuels auraient été exterminés dans les camps, et ceux qu’il aurait « guéri » par sa psychothérapie étaient ensuite envoyés au front sans retour possible.
L’historienne française Florence Tamagne, (2006) confirme aussi que l’Institut allemand a été créé en 1936 sous la direction de Matthias Heinrich Göring. Cet institut se prononça en faveur du « traitement des homosexuels » et affichait un taux de réussite de 67%, prétendant avoir « guéri » 341 de ses 510 patients homosexuels. Et, l’historienne allemande Claudia Schoppmann, (1991, 129), précise que Johannes Heinrich Schulz étant directeur de la polyclinique de l’Institut, cela fait de lui une personnalité de premier plan parmi les membres de l’Institut qui ont publié des articles sur le traitement de l’homosexualité.
Selon les deux psychologues américains James E. Goggin, Eileen Brockman Goggin (2001, 121-122)[1], « l’Institut Göring avait fait un arrangement (ongoing arrangement) avec les SS pour évaluer et traiter les homosexuels. M. H. Göring, J. H. Schultz, et Kalau vom Hofe prirent tous part à cette collaboration avec les SS. Ils ont déclaré après-guerre à Cocks et d’autres qu’ils ont essayé d’empêcher que ces patients homosexuels ne soient envoyés en camps de concentration ou d’être diagnostiqués incurables. Comme le suggère Cocks, la relation de Schultz avec les SS était éthiquement problématique. »
Cet historien Geoffrey Cocks[2], a fait des recherches très sérieuses sur l’histoire de la médecine et de la psychothérapie en Allemagne. Son premier livre sur le sujet (Cocks, 1985) est malheureusement le seul traduit en français (Cocks, 1987), car selon trois chercheurs (Brunner, J., Schrempf, M. & Steger, F. 2008)[3], Cocks est revenu sur ses propos de 1985 où il soutenait d’abord que « des monographies (Cocks, 1985 et Lockot, 2002) pertinentes et une thèse (Künzel, 1998) soutiennent que Schultz était un "opportuniste intelligent" qui ne servait que de belles paroles au régime nazi et qui a même protégé des homosexuels. Afin d'apprécier adéquatement le rôle de Schultz pendant le nazisme, il est nécessaire d'examiner les rapports des témoins et des publications académiques ainsi que son travail "autobiographique" (exposé dans son ouvrage de 1964). »
Concernant la question du programme d'euthanasie au sein de l'Institut Göring, Goggin, J. E. et Brockman Goggin, E. (2001, 121-122), confirment aussi que Cocks a d’abord affirmé en 1985 que Göring avait joué un rôle de résistance en ce qui concerne le programme d'euthanasie, mais en 1990, il admit que ses propos de 1985 étaient incorrects. Pour ces deux auteurs, Schultz a également été un fervent partisan du régime politique d’euthanasie. Il a approuvé le point de vue brutal nazi de "vie indigne de la vie" (suppression des vies dénuées de sens)[4] et en vint à exprimer l’espoir que les asiles soient eux-mêmes vite transformés et vidés de cette façon (Cocks 1997, 235).
Selon Brunner, J., Schrempf, M. & Steger, F. (2008) dont nous retranscrivons ci-dessous les recherches, en 1940, Schultz publia sa “Suggestion d'une méthode diagnostique" (Schultz, 1940, 12, 97–161), où il félicitait le sinistre Alfred Hoche[5]. Même en 1964, il parle de Hoche comme d’un "psychiatre avisé" (Klee, 2003).
Dans son système diagnostique de 1940 Schultz préconisait l'exécution des patients souffrant de troubles mentaux (Schultz, 1940, 12, 97–161) : « personnellement, je dois m'aligner avec Mr. Hoche pour la deuxième fois ce soir [...], en rappelant “l'anéantissement des vies dénuées de valeur“ et en espérant que les asiles d'aliénés seront bientôt vides et réaménagés selon ce principe ».
Pendant les premières années du nazisme, Schultz a montré publiquement son allégeance aux idées du national-socialisme. En 1935, il publia son essai, “Conséquences psychologiques de la stérilisation et de la castration chez les hommes“ (Schultz, 1935, 32, 161–165), dans lequel il préconisait l'obligation de la stérilisation des hommes selon la “loi allemande sur la stérilisation forcée“. Cette loi a servi de base à Schultz pour définir le but de la "nouvelle psychothérapie allemande :
(…) « Amener ces personnes à une compréhension juste et profonde du devoir de chaque allemand de la Nouvelle-Allemagne, comme l'aide à la préparation mentale et la psychothérapie, en général et en particulier pour ceux qui vont être stérilisés, et ceux l’ayant été, est un grand, important et enrichissant devoir médical. En outre, c’est un devoir gratifiant de faire disparaître dans les cas difficiles, l’inhibition qui empêche un névrosé d’adhérer activement à sa psychothérapie. Selon Schultz, « le soin concernant l'hygiène eugénique et la construction psychothérapeutique de la personnalité sont indissociables » (Schultz, 1935, 32, 161–165).
De plus, toujours selon Brunner, J., Schrempf, M. & Steger, F. (2008), « en 1940 Schultz a exprimé son accord avec la loi allemande[6] sur la stérilisation forcée dans sa “méthode diagnostique“ (Schultz, 1940, 12, 97–161), (…). Même tardivement en 1952, Schultz n’attribuait aucune dignité humaine aux personnes ayant un retard mental. Son livre "Troubles organiques et perversions dans la vie amoureuse" (Schultz, 1952), traite de "l'infériorité héréditaire" et considère les déficients mentaux ['Schwachsinnigensippen'] comme un fardeau pour la société. [...]. Utiliser encore en 1952 ces expressions typiques des nazis et diffuser leur idéologie, donne à penser que les déclarations de 1935 et 1940 étaient non seulement opportunistes, mais exprimaient ses profondes convictions. »
C’est encore en 1940 que Schultz a publié son essai, "Biologie génétique et anthropologie raciale" (Schultz, 1940, 12, 180–183), dans lequel il évoque l’image démoniaque des homosexuels comme une “clique“, comme un “État dans l'État“. Les homosexuels y sont qualifiés de “personnages louches corrompant la morale de la jeunesse“ (“Lichtscheue” and “Jugendverderber”) ; ils sont considérés comme des personnes “nuisibles pour la communauté en raison de leur incapacité à procréer“ ("durch Zeugungsausfall gemeinschaftsschädlich").
« Á cause de leur faible volonté pour un traitement, il est souvent nécessaire d’utiliser la castration au lieu de la psychothérapie. Les juristes et les médecins devraient « attirer l’attention des personnes qui ne se sentent pas encore prêtes à une castration volontaire, sur la possibilité d’un traitement psychothérapeutique. » En outre dans son livre, "Troubles biologiques et perversions dans la vie amoureuse", Schultz (1952) a écrit que les "pervers" étaient "enclins à soutenir des idées et des actes révolutionnaires. (…) En conséquence, il était convaincu, que pour préserver la santé, une « vraie protection des « personnes immatures et semi-matures » s’imposait en urgence contre la séduction homosexuelle (2008).
Considérer Schultz comme un "opportuniste intelligent" qui a seulement servi de bonnes paroles au régime nazi, sous-estime son influence et son rôle éminent sous le national-socialisme, concluent Brunner, J., Schrempf, M. & Steger, F. (2008).
On ne peut pas exclure qu’un nombre inconnu d'homosexuels furent libérés de camps de concentration suite à l’intervention de Schultz. Cependant, comme Schultz le souligne lui-même, les sujets traités « avec succès » ont été envoyés au front où ils ont été le plus probablement tués. Compte tenu de sa condamnation publique, continue et catégorique, de l'homosexualité, il semble hautement improbable que Schultz se destinait principalement à protéger les homosexuels des camps de concentration. Schultz (1955, 1967) défendait encore en 1967 avec vigueur le Paragraphe 175 du code pénal allemand, qui faisait de l'homosexualité masculine un crime. Les nazis avaient aggravé cette loi en 1935.
En conclusion, en préconisant la stérilisation obligatoire et “l’anéantissement de la vie indigne d’être vécue“ et en abusant des prisonniers homosexuels des camps de concentration comme “objets de recherche“ pour ses propres buts et ambitions professionnelles, Schultz a violé les principes éthiques fondamentaux de la psychiatrie (2008).
Philippe Scialom
Références bibliographiques :
Brunner, J., Schrempf, M. & Steger, F. (2008). Johannes Heinrich Schultz and National-socialisme, Israel Journal of Psychiatry and Related Sciences, 4(45), 257–262.
Cocks, G. (1985). Psychotherapy in the Third Reich : The Göring Institute. New York : Oxford University.
Cocks, J. (1987). La psychothérapie sous le IIIe Reich. L’Institut Göring. Paris : Confluents psychanalytiques, Les Belles Lettres.
El-Hai, J. (2013). Le nazi et le psychiatre (The Nazi and the Psychiatrist). Paris : Pocket, 2015.
Goggin, J. E. & Brockman Goggin, E. (2001). Death of a "Jewish Science : Psychoanalysis in the Third Reich. Indiana, USA : Purdue University Press, West Lafayette.
Klee, E. (2003). Das Personenlexikon zum Dritten Reich. Frankfurt/Main : S. Fischer.
Lockot, R. (2002). Erinnern und Durcharbeiten: zur Geschichte der Psychoanalyse und Psychotherapie im Nationalsozialismus. Gießen : Psychosozial.
Künzel, UB. (1998). “Ich bin ganz ruhig” : Psychoanalyse und Politik in den Publikationen des Begründers des
Autogenen Trainings, Johannes Heinrich Schultz. Diss. Frankfurt : The Library.
Schoppmann, C. (1991). Nationalsozialistische Sexualpolitik und weibliche Homosexualität. Berlin : Centaurus.
Schultz, J., H. (1935). Le training autogène. Méthode de relaxation par auto-décontraction concentrative. Essai pratique et clinique. (Titre original : Das autogene Training : konzentrative Selbstentspannung : Versuch einer klinisch-praktischen Darstellung). 1ere édition française en 1958, adaptée par Robert Durand de Bousingen et Y Becker. Paris : PUF.
Schultz, J., H. (1935). Psychische Folgen der Sterilisation und Kastration beim Manne. Zeitschrift für ärztliche Fortbildung, 32, 161–165.
Schultz, J., H. (1940). Vorschlag eines Diagnosen-Schemas. Zentralblatt für Psychotherapie, 12, 97–161.
Schultz, J., H. (1940). Erbbiologie und Rassenkunde. Zentralblatt für Psychotherapie, 12, 180–183.
Schultz, J., H. (1952). Organstörungen und Perversionen im Liebesleben. München, Basel : Reinhardt.
Schultz, J., H. (1955). Psychotherapie 1954/55. Münchner MedizinischeWochenschrift, 35, 1164–1167.
Schultz, J., H. (1967). Zur Frage der Strafwürdigkeit der Erwachsenenhomosexualität. Medizinische Klinik, 62, 1097.
Schultz, J., H. (1964). Lebensbilderbuch eines Nervenarztes. Jahrzehnte in Dankbarkeit. Stuttgart : Georg Thieme.
Tamagne, F. (2006). A history of homosexuality in Europe, Berlin, London, Paris, 1919-1939. V. I & II. New York : N.Y, Algora.
[1] Leur ouvrage, Death of a "Jewish Science": Psychoanalysis in the Third Reich, est téléchargeable sur https://epdf.tips/death-of-a-jewish-science-psychoanalysis-in-the-third-reich.html
[2] Cocks est Professeur Emérite d’histoire à l’université d’Albion, Michigan et docteur en histoire de l’Université de Californie, Los Angeles.
[3]Jürgen Brunner, docteur en médecine, Institut d'histoire, de théorie et d'éthique, RWTH Aachen, Allemagne.
Matthias Schrempf, Institut d'histoire et d'éthique en Médecine, fau Erlangen-Nuernberg, Allemagne.
Florian Steger, docteur en médecine, PhD, Institut d'histoire, de théorie et d'éthique, RWTH Aachen, Allemagne et Institut d'histoire et d'éthique en Médecine, fau Erlangen-Nuernberg, Allemagne.
[4] Cette expression lebensunwerten Lebens, apparue pour la première fois dans le livre de Karl Binding et Alfred Hoche, Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens, en 1920, signifie en français : Le droit de détruire la vie dénuée de valeur. C’était une classification pour désigner des segments de la population qui selon le régime nazi de l’époque n’avaient pas le droit de vivre. Ces individus étaient ciblés pour être euthanasiés par l’état. Cette expression est similaire mais plus restrictive que le concept de Untermensch.
[5] En 1920, Karl Binding et Alfred Hoche publièrent leur livre intitulé, Libération par suppression des vies dénuées de valeur ('Die Freigabe der Vernichtung lebensunwerten Lebens').
[6] Loi de prévention des maladies héréditaires, modifiée en juin 1935, et loi sur les crimes sexuels de novembre1934 (voir les travaux de l’historienne Dagmar Herzog).