Pour parler de la comorbidité de la symptomatologie psychomotrice la plus souvent rencontrée dans les troubles des apprentissages voici un tableau récapitulatif :
Synthèse des manifestations psychomotrices dans les troubles des apprentissages
Manifestations psychomotrices dans les troubles des apprentissages
Mathilde Etienne, Séverine Jacquet, psychomotriciennes, & Philippe Scialom, psychomotricien, psychologue.
1- Définition et classification
Séverine Jacquet
Au cours de leur parcours scolaire de nombreux enfants rencontrent des difficultés dans les apprentissages. Cette détérioration des performances scolaires est secondaire à des facteurs socioculturels, environnementaux, ou encore intrinsèques à l’enfant. Ces difficultés sont le plus souvent rééducables grâce à la mise en place de prises en charges permettant une meilleure adaptation à la poursuite de leur scolarité.
L’apparition de difficultés sévères, spécifiques et persistantes dans les apprentissages scolaires chez des enfants intelligents, sans difficulté psychologique, sociale, culturelle, a poussé les chercheurs à s’interroger sur l’origine de ces troubles. Le premier cas fut celui d’un enfant présentant un handicap important et persistant à la lecture. C’est la première description de la dyslexie développementale (Pringle Morgan, 1896). Le terme de « troubles des apprentissages » est apparu pour la première fois sous la terminologie de « learning desabilities » par Kirk en 1963. Depuis, la littérature abonde de définitions. On peut retenir celle de Rutter, M., 1989, qui les définit comme « un ensemble de difficultés des apprentissages qui ne peuvent être attribués ni à un retard intellectuel, ni à un handicap physique, ni à des conditions adverses de l'environnement. Ces difficultés sont inattendues compte-tenu des autres aspects du développement, elles apparaissent très tôt dans la vie et interfèrent avec le développement normal. Elles persistent souvent à l'âge adulte ».
Pour définir ces troubles des apprentissages différents critères ont été retenus par la classification internationale des
maladies (CIM-10) et le Manuel Diagnostique et statistique des maladies mentales (DSM-5).
Dans la CIM-10 on les retrouve dans le chapitre intitulé « troubles du développement psychologique » dans la partie consacrée aux troubles spécifiques du développement des acquisitions
scolaires. Ils sont évoqués sous l’appellation de « critères de diagnostiques communs aux troubles spécifiques des acquisitions scolaires ». Il s’agit de 5 critères :
· « La note obtenue aux épreuves, administrée individuellement, se situe à au moins deux écart types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chronologique et du QI
· Le trouble interfère de façon significative avec les performances scolaires ou les activités de la vie courante
· Le trouble ne résulte pas directement d’un déficit sensoriel
· La scolarisation s’effectue dans les normes habituelles
· Le QI est supérieur ou égale à 70 »
Dans le DSM-5, il s’agit de Troubles Spécifiques des Apprentissages (TSA) regroupés sous le terme plus générique de « troubles neuro-développementaux ». « Les troubles spécifiques d’apprentissages ont une origine neurodéveloppementale, ils entravent les capacités pour apprendre et donc pour accéder aux compétences académiques (comme par exemple la lecture, l’expression écrite ou l’arithmétique) qui sont à la base des autres apprentissages scolaires. Ces troubles spécifiques d’apprentissage sont inattendus du fait d’un développement normal dans les autres domaines. » Le DSM-5 met en avant 4 critères de diagnostic :
· « La persistance depuis au moins six mois d’un des 6 symptômes des TSA en dépit d’une prise en charge individualisée et d’une adaptation pédagogique ciblée.
· L’évaluation se fait en deux temps : elle doit comprendre un « bilan diagnostic » suivi d’un second « bilan pour intervention », déterminant l’aide « spécifique » à apporter à l’élève. Le bilan diagnostic comporte des mesures quantifiables des difficultés académiques, montrant que le niveau atteint est en-dessous du niveau attendu compte tenu de l’âge, retentissant sur la réussite scolaire et la vie quotidienne. Ce qui implique la nécessité d’une évaluation clinique « compréhensive » utilisant des tests standardisés adaptés, en passation individuelle.
· L’âge auquel se manifestent les TSA peut être variable, le plus souvent à l’école primaire mais les TSA peuvent ne se manifester pleinement qu’à l’adolescence.
· Enumération des troubles dont l’existence élimine le diagnostic de TSA :
Troubles mentaux, troubles sensoriels (audition,
vision) troubles
neurologiques ; troubles d’instruction, méconnaissance du langage qui doit s’être
amélioré avant de poser le diagnostic de TSA. »
Ces troubles spécifiques des apprentissages font le plus souvent référence à des troubles de l’acquisition des compétences scolaires de base. On les appelle également « syndrome des dys ». On distingue :
· Le trouble spécifique de la lecture : La dyslexie
Il s’agit d’un trouble de l’acquisition et de l’automatisation de la lecture. On en distingue 3 formes :
La dyslexie phonologique : qui est un déficit de la voie d’assemblage de lecture, c'est-à-dire à un problème de déchiffrement.
La dyslexie de surface : qui est un trouble de la voie d’adressage ou lexicale et grammaticale, c'est-à-dire un problème de reconnaissance globale des mots.
La dyslexie mixte : qui est une atteinte des 2 procédures de lecture.
· Le trouble spécifique du langage : La dysphasie
C’est un trouble de l’acquisition et de l’automatisation du langage oral qui a été reconnue par William Wilde dès 1853. En 1958, Ajuriaguerra emploie le terme d’audimutité qu’il remplace par dysphasie en 1965.
Selon l’Ordre des orthophonistes et audiologues de Québec la dysphasie est « un trouble primaire du langage, dans les sphères expressives ou expressives et réceptives, qui s’observe par des atteintes variables affectant le développement de plus d’une composante du langage, phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique, pragmatique. En plus d’une hétérogénéité des manifestations de ce trouble d’un individu à l’autre, il se caractérise, chez un même individu, par sa persistance, la variabilité du portrait clinique dans le temps, de même que par une forte probabilité qu’il y ait peu d’évolution sans intervention. »
· Le trouble spécifique de l’arithmétique : La dyscalculie
Il s’agit globalement d’un trouble des compétences numériques et des habilités arithmétiques. Des difficultés de la construction des nombres et des opérations sur ces nombres. Il se manifeste au cours du développement de l’enfant par :
- L’utilisation prolongée et plus fréquente des processus immatures de comptage (sur les doigts)
- Des difficultés de mémorisation des faits arithmétiques
- Des difficultés d’apprentissage des opérations : additions, soustraction,
multiplication, etc.
- Et des difficultés de résolution des problèmes
· Le trouble spécifique de l’orthographe : La
dysorthographie
Il s’agit d’un défaut d’assimilation important et durable des règles d’orthographe. La conversion phonographique, la segmentation des composants de la phrase, l’application des conventions
orthographiques, et l’orthographe grammaticale s’en trouvent altérés.
· Le trouble spécifique de l’écriture : La
dysgraphie
Il s’agit d’une « atteinte de la fonction graphique sculpturale se manifestant au niveau des composantes spatiales de l'écriture, alors que les structures
morphosyntaxiques ne sont pas touchées. » (Postel, 1993) et en dehors de toute atteinte neurologique.
Les caractéristiques principales sont :
- Une lenteur graphique
- Une mauvaise organisation de la mise en page
- Impression de travail non soigné
- Maladresse du tracé
- Des normes calligraphiques non respectées
- Des espaces entre les mots et les lettres irréguliers (télescopages, soudures,
absence de liaison).
- Lignes d’écritures non respectées
Elles peuvent être regroupées en 4 rubriques (d’après Gaddes et Edgell cit in. Albaret (1995, p.71)
L’altération de l’écriture : tremblements, lettres mal formées,
télescopages ou
absences de liaison, absences de boucles, traits repassés, migraphie par exemple
Les troubles spatiaux : mauvais alignement des lettres, mots
serrés, absence de
marge, lignes ascendantes ou descendantes
Les troubles syntaxiques : difficultés à écrire des réponses grammaticalement correctes en réponse à une question alors que l’expression orale ne souffre pas d’une telle difficulté.
La répugnance à écrire
· Les Troubles des Acquisitions de la Coordination (TAC) et
dyspraxie
Le trouble des Acquisitions de la Coordination
Laurence Vaivre Douret les définit en 1999 comme « une perturbation marquée du développement de la coordination motrice. Ceci exclut toute infection médicale générale et les troubles envahissants du développement, tout retard mental ou retard moteur important. »
D’après le DSM-IV (1994) le TAC se caractérise par
- Des performances dans les activités quotidiennes nécessitant une bonne
coordination motrice sont nettement en-dessous du niveau escompté compte-tenu de l'âge chronologique du sujet et de son niveau intellectuel (mesuré par des tests).
Cela peut se traduire par des retards importants dans les étapes du développement psychomoteur (ex., ramper, s’asseoir, marcher), par le fait de laisser tomber des objets, par de la “maladresse”, de mauvaises performances sportives ou une mauvaise écriture.
- Une perturbation interfère de façon significative avec la réussite scolaire ou les activités de la vie courante.
- La perturbation n’est pas due à une affection médicale générale et ne répond pas aux critères d’un Trouble envahissant du développement.
- Si retard mental, les difficultés motrices dépassent celles habituellement associées à celui-ci
Les signes d'appel sont :
- Difficultés dans les activités de la vie quotidienne
- Lenteur importante dans les différentes activités motrices
- Trouble des apprentissages scolaires
Les conséquences sont :
- Problèmes comportementaux et académiques (refus scolaire, évitement de
certaines activités) (Cantell & al., 1994 ; Losse & al., 1991)
- Problèmes émotionnels et interpersonnels (victimisation, baisse de l’estime de soi et du sentiment d’efficacité personnelle) (Chen & Cohn, 2003 ; Losse & al., 1991 ; Skinner & Piek, 2001)
- Risque aggravé
d’apparition de problèmes de santé mentale (dépression, anxiété)
(Rasmussen & Gillberg, 2000 ; Sigurdsson & al., 2002)
Les répercussions sont :
- Des performances médiocres en sport et en écriture
- Peu de hobbies, moins de relations sociales, niveau scolaire faible et ambitions
scolaires réduites (Cantell & al., 1994)
Le trouble spécifique de la coordination motrice : La dyspraxie
Elle peut être définie comme une incapacité à concevoir, programmer et réaliser un geste. Différentes formes de
dyspraxies ont été répertoriées :
La dyspraxie idéomotrice : elle concerne les gestes à réaliser en l’absence de manipulation réelle d’objets. Il s’agit donc de gestes à visée symbolique ou mimés. (Saluer, imitation de
gestes réalisés par d’autres)
La dyspraxie idéatoire : elle concerne la difficulté à utiliser, à manipuler des objets.
La dyspraxie de l’habillage : qui concerne les gestes en lien avec
l’habillement. Boutonner, faire ses lacets, mettre dans le bon sens les vêtements est difficile.
La dyspraxie visuo-spatiale ou constructive : elle fait référence à des activités d’assemblage. Le sujet a des difficultés à construire en 2D, 3D, de transposer du 2D à la 3D.
· Et le Trouble Déficitaire de l'Attention avec ou sans hyperactivité
Il est caractérisé par la triade symptomatique :
- impulsivité
- défaut d’inhibition du comportement qui est source d’erreurs d’inattention.
- manque d’autocontrôle qui est souvent la cause d’une agitation sur le plan
moteur
2- Notion de comorbidité
Séverine Jacquet
Les troubles des apprentissages sont dits spécifiques car ils altèrent un domaine en particulier du fonctionnement cognitif du sujet. La traduction fonctionnelle du trouble n’est pas la résultante étiologique d’un facteur mais l’expression d’une convergence plurifactorielle. Ces difficultés sont liées à une dysfonction du système neurologique et mises en corrélation avec des facteurs génétiques et héréditaires. La prématurité et des facteurs périnataux sont également des facteurs de risque supplémentaires dans l’émergence de tels troubles. (Finnström & coll., 2003)
Il est fréquent que ces troubles se retrouvent, chez une même personne, associées entre eux et à d’autres troubles.
En France, un plan interministériel « en faveur des enfants atteints d’un troubles spécifique du langage oral et écrit » est mis en place en mars 2001. Il donne naissance à la circulaire DHOS/01/2001/209 du 4 mai 2001, appelant à spécialiser certains services hospitaliers en centres de référence des troubles des apprentissages du langage oral et écrit. Ces derniers ont un rôle d’expertise. Le travail pluriprofessionnel permet de réaliser les diagnostics et la mise en place de soins coordonnés et spécifiques aux troubles de l’enfant. Par le biais de ces structures un travail d’étude sur la fréquence de ces troubles dans la population et de leur comorbidité est également réalisé.
· La forme pure de dyslexie est peu fréquente. Dans plus d’1 cas sur 2, la
dyslexie est consécutive à la dysphasie. Elle se retrouve également souvent associée au trouble de l’attention avec/ou sans hyperactivité, à un TAC et à des troubles psychoaffectifs.
· Il existe une étroite relation entre la dysphasie et le déficit attentionnel. Il peut être primaire ou secondaire. Cela s’explique notamment par l’effort linguistique que leur demande chaque activité. La mémoire de travail est souvent altérée et une lenteur de traitement est souvent associée. La dysphasie est souvent associée à la dyslexie. Une étude de Lasserre, Gely & Heral (1994) montre que plus de la moitié des enfants souffrant de dysphasie présentent un retard psychomoteur. L’incidence de cette co-morbidité est évaluée autour de 25%. Les déficits engendrés par la difficulté à utiliser le langage oral est bien souvent source d’anxiété.
· La dyscalculie pure est rare. Elle se retrouve concomitante à des difficultés d’organisation spatiale ainsi qu’à des coordinations motrices peu efficientes. Elle est particulièrement caractérisée par une pauvreté de la connaissance du corps propre et de la représentation mentale du corps. On la retrouve souvent associée à des troubles du langage oral ou écrit, ainsi qu’à des troubles attentionnels.
· La dyspraxie : Parmi les troubles spécifiques des apprentissages, la dyspraxie est l’un d’un trouble qui affecte le plus la sphère psycho-affective. Encore mal connue, avant d’être diagnostiqués les enfants sont souvent décrits comme malhabile, ayant « deux mains gauches ».
· Concernant la dysorthographie, d’après le rapport de l’Inserm : « même si quelques études de cas neuropsychologiques rapportent des atteintes en production orthographique sans trouble de la lecture, toutes les recherches portant sur l’apprentissage et le développement considèrent que les troubles de la production orthographique sont systématiquement associés à ceux de la lecture, et notamment à la dyslexie. »
· Les enfants présentant un trouble des apprentissages ont souvent une dysgraphie associée, de 30 à 40% des cas (Mayahra and al, 1990) jusqu’à 67% des cas (Waber et Bernstein, 1994). D’après Albaret (1995) et les travaux de Corraze (1981) la dysgraphie est souvent concomitante à un TAC, une dyspraxie développementale ou à une dyslexie. Elle se retrouve également fréquemment chez les personnes sujettes à un TDA du fait d’une atteinte du système graphémique (Caramazza, 1987). On la retrouve dans les dystonies et les crampes de l’écrivain (De Ajuriaguerra, 1974). Elle peut encore être associée à des troubles de la dominance latérale (ambidextrie, dominance contrariée, ambilatéralité).
· Concernant les Troubles des Acquisitions de la Coordination : L’association TAC et dyslexie est fréquente mais pas systématique. La fréquence observée varie de 29 à 70% d’une étude à l’autre en fonction des critères retenus pour faire cette évaluation.
· Le Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité : Les études épidémiologiques (Mayes et Calhoun en 2006) montrent que 71% des sujets ayant un TDA avec ou sans Hyperactivité sont sujets également à un ou plusieurs troubles des apprentissages. L’association TDA/H avec la dyslexie est présente dans 33% des cas, avec la dyscalculie dans 26% des cas, avec une dysorthographie dans 25% des cas e dans 63% avec une dysgraphie.
En conclusion :
Les troubles des apprentissages ne trouvent pas leur origine dans une déficience cognitive, sensorielle ou motrice ni par l’existence d’un trouble envahissant du développement ou de traumatisme. La dimension socio-culturelle, économique et la sphère affective ne sont pas des facteurs étiologiques mais propices à l’aggravation ou à l’amélioration de ces troubles. Le dépistage précoce du trouble des apprentissages via les centres de références des troubles des apprentissages du langage oral et écrit, constitue donc une première étape fondamentale pour l’enfant. Il va permettre d’identifier ses difficultés, d’apporter un accompagnement différent dans les apprentissages. Lors de l’évaluation psychomotrice « la prise en compte des signes doux doit plus que jamais retenir l’attention du psychomotricien qui est l’un des professionnels les mieux placés pour les détecter, en apprécier le caractère perturbateur ou invalidant et mettre en place les stratégies thérapeutiques adaptées. » Soppelsa, R. Albaret, J.M. et Corraze, J. (2009).
Les études récentes sur la comorbidité des troubles des apprentissages conduisent les auteurs à utiliser de moins en moins le terme de « spécifiques ». La disparition de ce terme est sans nul doute le reflet du débat actuel soulevé par la fréquence de la coexistence de ces troubles. « Devant la complexité de l’étiologie des troubles des apprentissages, et plus généralement des troubles neurodéveloppementaux, la nécessité de recherches réellement interdisciplinaires se fait jour afin de faire le lien entre les aspects comportementaux, les données neuropsychologiques, les caractéristiques cérébrales et les apports de la génétique moléculaire. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons avancer dans la compréhension de ces troubles et améliorer le suivi précoce des enfants qui en sont porteurs. » Albaret (2013)
3- Fonction perceptivo-motrice
Mathilde Etienne
Comprendre comment le système nerveux élabore les coordinations perceptivo-motrices, qui permettent de produire les mouvements coordonnés et d’agir efficacement dans l’environnement permet au psychomotricien de mieux comprendre les difficultés des apprentissages scolaires.
Dans le processus d'apprentissage, deux sens jouent un rôle essentiel : la vue et l'ouïe. « Quand on parle de réception de l'information, on ne parle pas de l'état physique de l'œil qui voit ou de l'oreille qui entend, mais plutôt de la manière dont ce qu'on voit ou ce qu'on entend est traité par le cerveau. Ce processus central de réception de l'information se nomme la perception. » (Destrempes-Marquez, D., Lafleur L., 1999, p.19)
La perception est le phénomène psycho-physiologique qui nous relie au monde sensible par l'intermédiaire de nos sens. La perception est le processus de recueil et de traitement de l'information sensorielle.
La sphère perceptivo-motrice s’appuie sur la nécessité de traiter des informations sélectionnées dans l’environnement et dans la mémoire du sujet, d’élaborer des modèles internes de l’environnement et, de sélectionner et d’adapter un programme de commandes stocké dans le système nerveux. C'est ce qui distingue la perception de la sensation, dans cette dimension de traitement cognitif de la sensation. La réponse choisie face à une situation (quoi faire ?) et la cinématique observable du mouvement (comment faire ?) sont considérées comme l’expression de l’adéquation du contenu des modèles internes et des commandes spatio-temporelles générées par le programme moteur. Cette conception des relations entre perception et action s’appuie sur l’existence de deux compartiments distincts ‘ sensorimoteur et cognitif ‘ et de différents niveaux de contrôle de l’action, nécessitant plus ou moins d’investissement cognitif. Dans cette perspective, le compartiment sensori-moteur assure le dialogue direct entre l’organisme et son environnement, grâce à la mobilisation coordonnée d’instruments moteurs pré-adaptés et pré-câblés dans la circuiterie nerveuse (les programmes moteurs). Le compartiment cognitif assure, par le jeu des contrôles intentionnels et attentionnels, une gestion prédictive de ces instruments sensori-moteurs.
« L'exploration motrice des éléments du réel ne se limite pas à un ajout de données sensorielles d'origine musculaires, articulaires et labyrinthiques, elle favorise l'interaction de toutes les sensibilités et, surtout elle renforce une stratégie de découverte pluri sensorielle du réel qui rend sa perception plus riche et plus différenciée » (Paoletti, R., p.156)
En psychologie cognitive, la perception est définie comme la réaction du sujet à une stimulation extérieure qui se manifeste par des phénomènes chimiques, neurologiques au niveau des organes des sens et au niveau du système nerveux central, ainsi que par divers mécanismes qui tendent à adapter cette réaction à son objet par des processus tels que la représentation de l'objet, la différenciation de cet objet par rapport à d'autres. (Ruel, P.H.).
On sait, comme l'a établi Geschwind (1968), que le cerveau possède des aires d'associations hémisphériques (gyrus angulaire et corps calleux) qui permettent l'interaction entre les divers systèmes sensoriels et moteurs de l'organisme. C'est ce phénomène d'intégration intersensorielle et afféro-efférentielle qui, semble-t-il, donne à l'homme sa supériorité sur les animaux inférieurs (Ayres, 1975 ; Bryan et Bryan, 1978). De ces nouvelles connaissances, il ressort qu'il importe d'attacher une attention nettement préférentielle aux signes d'intégrité et de maturité neurologiques du cerveau plutôt qu'à la dominance d'un hémisphère particulier, sans nier toutefois les fonctions spécifiques à chaque hémisphère. Ces données, relativement récentes de la neurobiologie, doivent maintenant servir de canevas fondamental pour la compréhension de certains problèmes d'apprentissage scolaire, tout comme elles doivent nous servir de champ de référence pour l'étude des phénomènes perceptivo-moteurs. (Ruel, P.H.)
-La perception : revue d'auteurs
Pour J. Piaget (1969), la mise en relation entre les différentes modalités sensorielles s’effectue progressivement. Au début les sensations sont confuses, puis elles s’organisent et se mettent en place au fur et à mesure. Ainsi, nos récepteurs sont constamment bombardés d’informations tant sur le milieu environnement que sur ce qui se passe dans le corps et toutes ces informations sont mises en mémoire et sont en lien avec ce que le sujet vit sur le plan affectif.
Pour Piaget (1969) la dynamique de l'action permet le développement des constructions cognitives de l'enfant, l'action permet d'assimiler les objets, mes connaissances, l'action s'adapte en fonction des interactions avec l'environnement.
Les modalités sensorielles permettent alors de recueillir des infos de l’univers environnant ou interne, de rester en contact avec lui, de s’ajuster en fonction de ses modifications. « Les échanges qu'elle provoque avec le milieu comportent également une forme ou une structure, qui détermine les divers circuits possibles s'établissant entre le sujet et les objets. C'est en cette structuration de la conduite que consiste son aspect cognitif. Une perception, un apprentissage sensori-moteur (habitude, tec.), un acte de compréhension, un raisonnement, etc., reviennent tous à structurer, d'une manière ou d'une autre, les rapports entre le milieu et l'organisme ». (Piaget, 1967, p.12).
La vie affective et la vie cognitive sont inséparables, quoique distinctes. Tout échange avec le milieu suppose une structuration et une valorisation et ces deux aspects ne peuvent se réduire l'un à l'autre, ils sont donc aussi distincts.
« Le travail de la psychologie est comparable à celui de l'embryologie, travail d'abord descriptif et qui consiste à analyser les phases et les périodes de la morphogénèse jusqu'à l'équilibre final constitué par la morphologie adulte, mais recherche qui devient « causale » dès que les facteurs assurant le passage d'un stade au suivant sont mis en évidence », (Piaget, 1967, p.55).
Wallon, à travers une approche psychobiologique démontre l'importance du mouvement dans le développement psychologique de l'enfant, le langage corporel précédent le langage verbal. Wallon établit des relations entre les troubles psychomoteurs et les troubles du comportement. Henri Wallon écrit, dans son ouvrage De l'acte à la pensée (1942), que leur croissance mutuelle et réciproque « s'effectue, entre autres, par l'activité de l'individu qui est inconcevable sans le milieu social », sans l'environnement.
Ajuriaguerra (1971) souligne le rôle de la fonction tonique comme fondement de l'action corporelle dans un mode de relation avec autrui. La perception est directement fonction du monde extérieur et du monde interne c'est à dire de la qualité et de la maturité des systèmes perceptifs impliqués et de l'expérience de l'individu.
Pour Le Boulch (1984), l’éducation psychomotrice est un préalable aux autres apprentissages auxquels elle prépare l’enfant en lui permettant de s’exercer pour développer les prérequis nécessaires aux apprentissages disciplinaires. Elle vise le développement de l’enfant et non une intégration de savoir. Les expériences motrices et sensorielles et leur intégration perceptivo-motrice sont un préalable à la structuration cognitive sur lesquelles s’appuient les apprentissages. «Aux Etats-Unis le terme psychomoteur n’est pratiquement pas employé et remplacé par «domaine perceptivo-moteur», peut-être, ce terme met-il en évidence, de façon plus claire, les problèmes posés par la structuration perceptive qui jouent un rôle fondamental dans la genèse des difficultés en mathématique.» (Le Boulch, J., 1984, p33).
Du sensoriel au perceptif
Ces signaux sensoriels sont au départ dépourvus de sens et l’enfant va progressivement être capable de leur donner une signification, leur donner du sens. Les différents signaux (extéroceptif, proprioception, viscéroception) sont alors combinés et mis en mémoire. C'est ce qui fait d'ailleurs qu'une même situation ne sera pas perçue de la même manière par un sujet ou un autre car toutes ces informations qu'il reçoit sont traitées sur le plan physiologique mais toujours en lien avec le vécu.
Les informations reçues peuvent être de différents types mais on les organise en deux groupes :
· Les informations extéroceptives nous renseignent sur l’extérieur (le dehors) et sont captées par nos 5 sens : tactile, visuel, auditif, gustatif et olfactif.
· Les informations intéroceptives nous renseignant sur l’intérieur (le dedans) et plus particulièrement la proprioception. Ce sens particulier est très important, il permet l’élaboration, la représentation et l’utilisation du corps (sensibilité profonde, système vestibulaire dans l’oreille interne, nécessaire à l’équilibration statique, dynamique et aux coordinations sensorimotrices).
Les sens sont donc indispensables à la motricité et au développement de l’enfant. Or les compétences sensorielles s’élaborent très précocement au cours de la vie fœtale et permettent très tôt au bébé d’être en relation avec le monde environnement, que cet environnement soit intra-utérin ou extra-utérin.
Au cours de la vie quotidienne, la performance et l’habileté motrice reposent sur la flexibilité du système sensorimoteur et l’efficacité (la précision et la rapidité) des relations qui s’établissent entre la perception et l’action. La notion de coordination perceptivo-motrice rend compte de la médiation opérée par les systèmes sensoriels, lors de l’élaboration des mouvements complexes (coordinations inter-segmentaires et inter-articulaires) et de leur adaptation aux événements, qui se déroulent dans l’environnement (coordinations sujet-environnement). Ainsi, se déplacer en évitant des obstacles, freiner, intercepter un objet supposent d’établir des relations spatio-temporelles entre des éléments a priori indépendants (le sujet et l’obstacle, la main et le ballon). Ces deux types de coordination (inter-segmentaires et interarticulaires), sont souvent combinés pour effectuer des gestes complexes en coïncidence avec un rythme (danse, gymnastique rythmique et sportive), pour frapper ou intercepter un ballon ou encore pour s’opposer à un adversaire. (Chollet, G.)
La sphère perceptivo-motrice est en lien direct avec les apprentissages scolaires et apprendre est sous-tendu par l'aspect corporel et plus précisément moteur tant le perceptivo-moteur s'inscrit très tôt sur le plan corporel, base des futurs apprentissages.
C'est la sphère perceptivo-motrice qui permet à l'enfant de développer l'aspect cognitif de son ressenti, comme une élaboration intellectuelle de la sensation auquel se mêle l'affectivité et qui sera mis en mémoire, de tout ce qui englobe le sensori-moteur qui deviendrait intellectualisé et intégré dans l'intelligence du sujet.
« Si les informations sensorielles sur un contenu de connaissance sont nombreuses et diversifiées, la perception de ce contenu sera plus juste et plus complète. C'est pourquoi le maître, lorsqu'il se rend compte que, malgré tous ses efforts, ses explications verbales ne sont pas comprises par l'élève, cherche spontanément à trouver d'autres accès à sa compréhension (…) si les documents audiovisuels représentent déjà un progrès par rapport à un enseignement magistral exclusivement verbal, il reste que la situation pédagogique la plus riche en matière d'informations sensorielles est celle qui amène l'enfant à être physiquement actif» (Paoletti, R., 1999, p.156).
L'éducation psychomotrice
C'est l'éducation psychomotrice qui va permettre, grâce à des stratégies de stimulation perceptivo-motrice, de soutenir les apprentissages scolaires de l'enfant, ainsi que son développement cognitif, social et affectif.
Les conduites perceptivo-motrices s'élaborent et enrichissent différents domaines psychomoteurs à savoir :
· l'organisation perceptive (sensation et perception, attention, discrimination, représentation, mémoire),
· le schéma corporel (image du corps, somatognosie, ajustement postural),
· l'organisation spatiale (orientation, structuration),
· l'organisation temporelle (durée, adaptation temporelle et rythmique, orientation, structuration).
Des exercices peuvent être proposés par le psychomotricien pour améliorer des déficits perceptivo-moteurs. Le psychomotricien devra alors développer chez l'enfant la perception visuelle, la constance visuo-perceptive ou conservation de la forme, la coordination visuo-motrice, la discrimination des formes (orientation, couleur, taille...), la perception des positions ou de relations spatiales, les perceptions : auditive, tactile, proprioceptive ou kinesthésique.
Au sens large la perception procède d'un acte complexe et coordonné en réponse à un stimulus spécifique qui atteint l'organe sensoriel approprié. Tout comme il n'y a pas de sensation sans environnement, il n'y a pas de perception sans mouvement car l'organisme répond à la sensation qu'il perçoit.
Les processus cognitifs sous-tendant les tâches de discrimination, de reconnaissance, d'identification, etc., sont à la base de l'acquisition des apprentissages scolaires. Comme les capacités perceptives peuvent s'améliorer avec la pratique, ainsi que les travaux de Gibson (1969) en témoignent, plusieurs auteurs ont émis l'idée qu'une préparation bien connue de l'enfant sur les plans perceptif et moteur pouvait faciliter les apprentissages scolaires et prévenir certaines des difficultés mineures d'apprentissage observées en lecture et en écriture notamment.
Dyspraxie et dyslexie : conséquences scolaires du trouble perceptivo-moteur
La dyspraxie
Dans le cas de la dyspraxie visuo-constructive, on observe un déficit de perception spatiale rendant ainsi difficile la construction de repères spatiaux et de représentations mentales (rotations mentales par exemple). C'est au psychomotricien de trouver des méthodes de compensation de ces difficultés perceptives en proposant une prise en charge individualisée qui permettra de faire découvrir à l'enfant les capacités sensorielles et motrices qu'il possède pour explorer et connaître ce qui l'entoure. Il est important pour l'enfant de bien observer (regarder, écouter, toucher, manipuler, goûter, …).
Le psychomotricien devra exercer les capacités de l'enfant en matière de différentiation visuelle (conservation visuo-perceptive, perception des formes, position, orientation, directions spatiales), de différentiation auditive, de perception tactile, proprioception et haptique (découverte des caractéristiques physiques des objets et des phénomènes de l'environnement, prise de conscience du corps au repos et en mouvement). Il faudra inciter l'enfant à expliquer verbalement ses jugements perceptifs et trouver des moyens concrets, des stratégies pour les vérifier au contact de la réalité objective.
La dyslexie
Dans le cas de la dyslexie, l'enfant peut avoir un trouble de la perception visuelle et de la perception auditive. Quand le trouble se situe au niveau de la perception visuelle, l'enfant présente alors des difficultés à décoder l'information transmise par les yeux : il confond alors des lettres, il lit les mots de droite à gauche et cette configuration peut apparaître face à une tâche écrite, de copie de dessins, difficultés allant même jusqu'aux tâches visuo-motrices et par exemple dans les coordinations occulomanuelles ou il lui sera difficile de rattraper un ballon, de shooter dans un ballon, de sauter à la corde, ...Lorsque le trouble se situe au niveau de la perception auditive, l'enfant différenciera difficilement les sons, confondra des mots de consonance identique, et le conséquence sera de répondre mal à une question qu'on leur pose par exemple entraînant alors des difficultés dans les apprentissages scolaires alors que l'enfant est capable de comprendre ce qui lui est demandé. L'effort considérable qu'il devra déployer pour comprendre ce qui est attendu de lui sera un frein à son investissement cognitif et le mettra toujours dans une position de double tâche entraînant alors des difficultés d'attention et de concentration et une fatigabilité, ces éléments attentionnels étant la conséquence du trouble perceptif. S'il est mal diagnostiqué, les difficultés de l'enfant sont mal prises en charge et les conséquences pour le risque d'échec scolaire importantes.
Conclusion
Chez l'homme, combien plus chez l'enfant, les fonctions perceptivo-motrices, davantage les visuo-motrices et les auditivo- motrices, exercent un rôle primordial et prépondérant sur son évolution et son agir tant interne qu'externe, de même que sur son adaptation. « C'est un fait indéniable que reconnaît la psychobiologie moderne et que les philosophes de l'antiquité ont stigmatisé par l'affirmation suivante : « Rien n'atteint l'intelligence s'il ne passe d'abord par les sens ». Les processus de la pensée, le langage et les fonctions motrices dépendent tous des processus perceptuels et leur agir est troublé si ces derniers sont déficitaires. Pourquoi en serait-il autrement dans l'expérience de l'enfant qui s'engage dans le processus de scolarisation ? » (Ruel, P.H., p.109).
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9.4 Les troubles d’apprentissages et la sphère affective
Comment définir la sphère affective indépendamment de la sphère cognitive compte tenu de leur globalité psychocorporelle ?
Les théories freudiennes démontrent que la pulsion est un processus dynamique, inconscient qui consiste dans une poussée, c’est à dire une charge énergétique, un facteur de motricité. Cette poussée énergétique fait tendre l’organisme vers un but, l’apaisement de l’état de tension. C’est dans « l’objet » (le sein pour l’oralité) et grâce à lui que la pulsion peut atteindre son but. Pendant la période dite de latence (6-11 ans), située entre la fin de l’Œdipe et la puberté, les pulsions sont sublimées, c’est-à-dire que leur but n’est plus « sexuel » mais cognitif. Les apprentissages scolaires se substituent à « l’objet » d’amour habituel, ce qui tombe bien puisque les enfants entrent en CP à 6 ans et apprennent à lire, à écrire et à compter.
L’origine de la pulsion étant tout d’abord physiologique au tout début (faim, froid, sommeil, besoin d’être porté, besoin d’attachement…), elle s’exprime entre 2 pôles différents :
- le pôle affectif qui est du ressenti pur, permanent et identique, libre. Il sera canalisé (c’est la « secondarisation » des processus primaires), socialisé, adapté au principe de réalité en se liant à des représentations.
- le pôle de la représentation, évolue en même temps que l’enfant et change selon ses acquisitions développementales. L’idée que l’enfant se fait de ce qu’il ressent évolue donc avec les nouvelles possibilités de son corps et sa maturité. La représentation est à l’origine de la pensée, de la réflexion, du langage, des images, c’est à dire de la sphère cognitive.
Ainsi secondairement, l’opposition entre affect et représentation n’est qu’un changement du point de vue d’où l’on regarde le même sujet et son être psychocorporel. Dès lors le rapport entre affect et représentation est similaire au rapport entre sensoriel et cognitif, ou encore entre émotionnel et pensée, langage.
L’affectivité étant donc en constante interaction avec les processus cognitifs, trois cas de figures nous intéressent :
La sphère affective favorise la motivation d’un sujet vis-à-vis des apprentissages et son développement (développement normal).
La sphère affective fait intrusion dans les processus cognitifs ou développementaux au détriment de ces derniers, générant des troubles cognitifs ou développementaux (l’anxiété interfère dans les processus d’apprentissage).
Les troubles développementaux et cognitifs ont des répercussions sur la sphère affective, potentialisant le mal-être de l’ensemble de la personnalité du sujet (les échecs génèrent l’anxiété, voire la dépression, des troubles phobiques…).
Les deux dernières configurations conduisent à une intrication et à une potentialisation réciproque des deux sphères rendant parfois difficile de distinguer si c’est la poule ou l’œuf qui en est l’origine.
C’est ainsi que la plupart du temps, les thérapeutes font face à des souffrances où les deux aspects cognitifs et affectifs sont associés. L’intrication est parfois si importante qu’elle peut engendrer un diagnostic erroné basé sur la croyance qu’une rééducation ciblée rétablira l’équilibre affectif ou qu’une psychothérapie bien menée effacera les problèmes d’apprentissages. En effet une prise en charge thérapeutique négligeant l’ensemble des paramètres en jeu dans les difficultés scolaires n’apporterait au jeune patient, au mieux qu’un soulagement éphémère. Cela pose la question du meilleur angle pour aborder le patient : viser une sédation de l’anxiété ou rééduquer une dysfonction en ciblant le symptôme ?
A la limite cette question est secondaire quand le travail en équipe et la bonne connaissance et utilisation de la pluridisciplinarité permettent une prise en charge globale, surtout si la communication entre les différents soignants génère des « effets de synthèse » visibles sur le patient. C’est le propre de la psychothérapie institutionnelle. Au-delà de ces cas les plus favorables à l’évolution d’un enfant, la psychomotricité comporte en elle-même cette appréhension globale de points de vue différents :
L’approche psychomotrice s’intéresse au lien psychosomatique qui unit les deux versants d’une même personne. La stratégie thérapeutique s’adaptera plus au contexte, à la demande, à veiller au retour d’un bien-être social, affectif et cognitif. Pour cela le projet thérapeutique prendra en compte la personne dans sa globalité. Il suivra le fil directeur que le patient présentera plus facilement, l’amenant peu à peu à harmoniser le flux d’union entre les deux pôles du même trouble.
Le bilan psychomoteur permet d’évaluer selon le contexte et l’anamnèse l’ensemble des troubles et leur expression en fonction de la relation à l’autre. Il fait entrevoir le poids du trouble d’anxiété, s’il est réactionnel ou à l’origine des problèmes du patient.
Généralement l’intrication est telle que l’approche psychomotrice, en particulier parmi les autres types de prise en charge, est d’une grande aide pour aborder le sujet dans sa totalité.
Citons à titre d’exemples quelques domaines où la sphère affective accentue ou initie des troubles pour illustrer notre propos :
La structure temporelle : l’expérience des fluctuations de la perception du temps est liée à l’intérêt ou l’ennui, le plaisir ou la souffrance. La structuration temporelle peut donc être influencée par l’anxiété.
La fonction tonique : elle reflète par exemple le pôle affectif de l’écriture ou bien s’exprime dans la relation tonico-émotionnelle. Des carences affectives ou des maltraitances surdéterminent des troubles du développement, de structuration dans l’espace et par conséquent des troubles des apprentissages.
Les distorsions de croissance : « Un déséquilibre tonique pendant la croissance de l’enfant entraîne un déséquilibre entre la croissance des os et l’étirement des muscles. Les enfants maltraités sont dans un état d’hypertonicité chronique et peuvent développer un nanisme psychosocial ». (Robert-Ouvray S., & Servant-Laval A. (in Scialom P., Giromini F., & Albaret J. M. (2011), T. 1, p. 151). Dans ces cas de nanismes psychogènes la croissance de ces enfants est souvent relancée au cours de périodes de séparations de leur famille, ce qui met en relief l’influence relationnelle sur le développement.
La latéralité : un choix insidieux amène certains enfants à investir un membre supérieur directeur contradictoire avec leur latéralité neurologique. Il ne s’agit pas de gauchers (ou droitiers) contrariés mais plutôt « contrariants ». Dans ces cas, la plupart du temps on retrouve dans l’anamnèse à l’âge du conflit œdipien une collusion entre deux évènements : un traumatisme autour de la séparation (des parents…) et le développement de la latéralisation. Tout se passe ici comme si les conflits de loyauté, de « choix » d’amour entre les parents, s’exprimaient par un compromis influençant les développements neurologiques en cours lors de cette période (myélinisation, latéralisation sont intenses entre 4 et 6 ans simultanément avec la structuration œdipienne et identificatoire). Le compromis consiste à ne pas choisir entre le père et la mère. L’équivalence symbolique[1] est donc de ne pas choisir entre la droite et la gauche. Tout ceci amène certains de ces enfants à consulter pour des troubles spatiaux, de latéralité ou du graphisme conséquents de leur investissement corporel latéral et spatial dérouté.
Prenons un dernier exemple de facteur influençant la plasticité cérébrale : les enfants précoces (QI > 130) ont de bons atouts de réussite et pourtant nombre d’entre eux développent à terme des troubles scolaires, affectifs et anxieux. Ils ont en effet tendance à développer naturellement ce qui fonctionne vite et bien sans effort de travail, mais cela risque de se faire au détriment d’autres potentiels cognitifs qui nécessitent plus d’effort pour se développer. Première conséquence visible avec un test de QI, des écarts de maturités se creusent en dessinant un profil disharmonieux. A partir de certains seuils significatifs, ces écarts sont anxiogènes. Généralement on observe un investissement moindre des potentiels d’origine plus sensorimotrice et se construisant sur les bases de l’expérience corporelle psychomotrice, d’où certaines difficultés scolaires chez des enfants intelligents.
Bien que la détermination de l’origine d’un trouble soit fondamentale, l’action thérapeutique en psychomotricité transcende les approches qui ne s’intéressent qu’à l’un des aspects inné ou acquis, neurologique ou psychogène. Le psychomotricien doit adapter et justifier tout au long de sa prise en charge le difficile équilibre thérapeutique qu’il opère en déplaçant l’accent de son travail relationnel d’un pôle à l’autre selon les variations de l’évolution et l’opportunité des fenêtres qui s’ouvrent à lui. Cet exercice professionnel est sans doute le plus exposé à ce travail d’équilibriste qui demande à la fois une finesse clinique et un mode de pensée holistique, psychosomatique, mais qui s’appuie aussi régulièrement à des évaluations objectives de l’évolution de l’enfant.
Références bibliographiques
Scialom P., Giromini F., & Albaret J. M. (2011). Manuel d’Enseignement de Psychomotricité. T 1. Paris. Solal-Deboeck.
[1] Pour plus de précisions voir Scialom P., Point de vue psychanalytique sur la latéralité in Scialom P., Giromini F., & Albaret J. M. (2011), T. 1, pp. 212-213.