REFLEXIONS SUR LE STATUT DE PSYCHOTHERAPEUTE et sa FORMATION
Notre objet vise à tenter de définir les pratiques déclinées du radical PSY comme PSYchothérapie et d'autres appellations cousines. Ces mots désignent tant de choses différentes aujourd'hui qu'il est difficile de s'y repérer ! Pourquoi le terme Psychothérapie, est-il pris dans une telle surenchère, même pour des professionnels diplômés ? Y a-t-il une orthodoxie de la psychothérapie ?
Les débats et confrontations territoriales sur ces identités montrent qu'il faut se poser certaines questions que nous allons tenter de soulever ensemble :
- Les premières concernent les représentations imaginaires des utilisateurs, qu'ils soient soignés, soignants ou supposés soignants.
- Ensuite nous discuterons du fait que les appellations Psy sont parfois associées à un diplôme avec un statut clairement bordé et reconnu, alors que d'autres fois elles sont employées pour désigner une fonction, une pratique ou une technique, en toute indépendance de tutelles. L'auto proclamation posant alors un vrai problème de légitimité.
1) L'héritage imaginaire des psychothérapeutes : le pouvoir magique des chamans sur l'esprit
Commençons donc par évoquer les aspects imaginaires et symboliques de ces thérapies de la psyché, mais sans les différencier pour l'instant. Il semble fondamental de ne pas perdre de vue d'où viennent les auras qui les entoure : ce sont les enjeux du pouvoir sur l'esprit.
Si de nos jours, il y a encore des guérisseurs, des sorciers et des possessions démoniaques, les prophètes, les voyants, les pythies de la Grèce antique, les oracles ont toujours et partout existé.
Par exemple, avec l'arrivée du christianisme, c'est le diable qui s'empare du corps des sorciers et des religieuses. Les prodiges, les révélations, les vues à distance, les délires extatiques, les convulsions, que les magnétiseurs attribuent au magnétisme, devinrent le résultat d'interventions diaboliques.
Dès le 12eme siècle, le diable hante les corps des malades et on connaît les formules qu'il faut employer pour le chasser, on a des moyens sûrs pour reconnaître les sorcières, des procédés efficaces pour les faire parler, et des bûchers bien flambants pour les punir. On croyait à la vertu magique de certaines formules, de certains onguents, de certaines plantes, comme la mandragore.
La possession démoniaque produisait des accidents nerveux de tout genre, principalement l'hystéro-épilepsie, et des phénomènes semblables à ceux qui sont attribués au magnétisme.
Plus récemment, l'anthropologie s'est intéressée aux chamans qui selon certains points ont des pratiques différentes des traditions spirituelles ou religieuses. Ils sont décrits comme des initiés, au pouvoir de voyager à travers le monde des âmes et des esprits, pouvoir qui surtout, leur permet de guérir.
Généralement, les chamans ont un contact direct avec des esprits.
Ils ont un contrôle strict sur un ou plusieurs esprits. Ces esprits ne contrôlent pas et n'usurpent pas la conscience du chaman sans sa permission.
Les chamans contrôlent un état de conscience altérée. Ils se préoccupent du monde "matériel" normal plutôt que d'atteindre un état d'illumination. Ils possèdent la capacité de faire voyager leurs âmes (voyage chamanique).
Certains anthropologues pensent que le chamanisme est aussi vieux que l'humanité : il s'agirait du plus ancien corpus de pratiques rituelles dans lequel le chaman accède, par diverses techniques, à la réalité non-ordinaire, appelée également le monde des esprits, le monde invisible, etc.
En ayant accès à cette réalité, le chaman peut « voir » le mal dont souffre le patient et entreprendre un travail de guérison spirituelle et physique en profondeur. Il peut, par exemple aller récupérer des bouts d'âme que son patient a perdus durant sa vie ou encore extraire des intrusions énergétiques pouvant causer des problèmes chroniques ou un mal de vivre inexplicable.
Bien avant la crise culturelle et spirituelle que nous vivons actuellement, les chamans étaient les garants de la transmission des valeurs culturelles, ainsi que les gardiens de la force de vie (parfois appelée le « pouvoir » ou la « force ») nécessaire à l'accomplissement de soi, tant au niveau personnel, qu'au niveau relationnel et social. Ils réglaient les problèmes individuels et communautaires et permettaient à leurs patients de vivre libérés de leur passé, de leurs peurs et de leurs limitations.
Il est intéressant de noter l'intérêt actuel des psychanalystes pour les phénomènes surnaturels, le retour de l'hypnose ou l'intérêt de la psychiatrie pour le chamanisme et l'augmentation des ouvrages édités sur ces questions. La fréquentation de l'étrange et de la folie a ainsi toujours fait dire à propos des psys qu'ils pouvaient lire, interpréter la face cachée de chacun. La peur éprouvée vis-à-vis des psys fait aussi dire qu'ils sont soit fous soit contagieux, comme si la contamination était possible pour le non initié. Au Cameroun, par exemple, j'ai pu observer la coexistence conflictuelle entre cette médecine traditionnelle et celle provenant de la pensée occidentale. Ce conflit suit la déstructuration de la famille et des villages, comme repères symboliques, au profit de la mégalopole et de l'individualisme.
En conclusion de cette première partie nous retiendrons que de tout temps et par delà le monde, l'homme a dû lutter contre son angoisse existentielle. L'homme moderne n'en est pas moins épargné malgré ses connaissances scientifiques. Il a hérité de cette angoisse existentielle l'idée ancestrale, ancrée au plus profond de son inconscient, que certains individus ont un pouvoir sur l'esprit et détiennent la capacité d'agir sur le corps et de guérir. Ainsi la folie psychotique reste associée au domaine du divin, de l'extérieur de soi, de l'influence divine ou satanique ; la souffrance psychique du névrosé demeure le fait d'un traumatisme mystérieux, incompréhensible ou irrationnel, le mystère entoure la conversion de l'angoisse sur le corps opérée par l'hystérique, et la pensée magique dicte les conduites contra-phobiques et les troubles obsessionnels ; quand à l'état limite en manque d'objet transitionnel, sa dépression anaclitique s'exorcise soit par l'incorporation addictive soit à l'aide des grigris et de signes tatoués ou scarifiés, qui marquent le corps ou la peau et rappellent l'objet d'amour perdu.
Il ne faut donc pas perdre de vue quand on veut se situer dans les familles des thérapeutes que la croyance en un pouvoir détenu par l'initié est en soi le véritable moteur de la guérison. Depuis Charcot, Janet, Freud, Lacan, Dolto, Winnicott, les psychanalystes ont apprivoisé ce phénomène nommé transfert. Mais sur le terrain de la pensée magique, les cliniciens, psychiatres, psychologues et psychomotriciens sont des jouvenceaux parmi les pratiques traditionnelles. Ils côtoient la proximité d'une profusion de « guérisseurs » qui de plus en plus souvent sont du côté de la magie plutôt qu'au fait de la psychopathologie. Le problème de ces guérisseurs c'est qu'ils s'autoproclament aussi aujourd'hui psychothérapeutes.
Je tenterais donc bien l'hypothèse que la confusion des frontières entre la famille des magiciens et celle des cliniciens, génère chez ces derniers qui ont plus le sens de l'éthique un sentiment de dépossession de leur savoir, de rivalité professionnelle ou de culpabilité, voire de sentiment d'imposture, certainement un vaste besoin de reconnaissance et de définition.
Le terme « thérapie » est associé au médical et à la connaissance. Comme il éloigne de l'occultisme, il devient donc l'enjeu des cliniciens mais aussi celui des magiciens et des imposteurs. Le terme « psycho » accolé à « thérapie », vient ainsi rappeler ce pouvoir que doivent partager dorénavant les magiciens et les cliniciens. Reste à savoir quelle sorte de praticien serait plus légitime, entre les magiciens et les cliniciens d'une part et aussi entre les différentes sortes de cliniciens d'autre part.
2) Psychothérapeute dans le cadre de la santé
Passons maintenant au deuxième point qui consisterait à déterminer un gradient de légitimité parmi les dites psychothérapies dont on en dénombre plus de 200.
Mettons-nous pour une fois à la place d'un patient en souffrance et en recherche d'aide : comment fera-t-il pour choisir, par exemple, entre un psychiatre et un peintre qui se disent tous les deux psychothérapeutes ?
C'est pour pallier à ce problème que le gouvernement français a décidé de légiférer.
Voici ce que dit la loi du 9 août 2004, art. 52:
L'usage du titre de psychothérapeute est réservé aux professionnels inscrits au registre national des psychothérapeutes.
L'inscription est enregistrée sur une liste dressée par le représentant de l'Etat dans le département de leur résidence professionnelle. Elle est tenue à jour, et mise à la disposition du public et publiée régulièrement. Cette liste mentionne les formations suivies par le professionnel. (...).
Un décret en Conseil d'Etat du 20 mai 2010 précise les modalités d'application et les conditions de formation théoriques et pratiques en psychopathologie clinique que doivent remplir les personnes (...).
Voici à titre d'exemple deux effets pervers de cette loi :
•a) L'explosion de formations qui portent à confusion avec celles de psychothérapeutes et même de psychanalystes, et dont les contenus sont très éloignés d'une formation dans le domaine de la santé telle que nous l'entendons. Voici des exemples relevés de contenu de formations décomposant le terme psychothérapeute en associant les désignations suivantes : psycho-somatothérapeute, musico et art-thérapeute, pédo et ado-thérapeute, somato-analyse et nato-thérapeute, psychanalyse plénière et massage - jungien et transpersonnel. Certains vont aussi contourner le statut désormais défendu de psychothérapeute en utilisant les statuts de thérapeute, de cabinet de psychothérapie ou « d'analystes » intégratifs.
•b) Le coaching, fait de société en marge de la psychothérapie, devant s'appliquer à l'accompagnement professionnel mais pourtant se revendiquant comme telle. Peut-on interpréter parfois ces coachings-psychothérapeutiques comme des signes de la dépendance peut-être au même titre que l'addiction ?
En majorité, de leur côté les psychanalystes ne sont pas demandeurs d'une réglementation de l'usage du titre de psychothérapeute, mais puisque celle-ci existe, ils se sont sortis du débat en se différenciant des psychothérapeutes et de leur titre.
Toutefois, certains psychanalystes soutiennent qu'il n'y a pas de distinction à faire entre pratique de la « psychanalyse » et pratique d'une « psychothérapie psychanalytique ». La seconde est une éventuelle modalité pratique de la première. Psychanalyse et « psychothérapie psychanalytique » sont du ressort exclusif des psychanalystes. Il ressort que la psychanalyse n'a à priori pas pour but la guérison contrairement à la psychothérapie.
En conclusion de cette deuxième partie, dans la réalité, peu de pratiques dignes d'être appelées psychothérapie, au sens noble du terme, s'adressent à de véritables patients psychotiques, border line ou névrosés. Les autres seraient au mieux à classer du côté du développement personnel comme le golf ou le foot, elles sont rarement vulnérables aux névrosés qui y trouvent leur compte pour s'illusionner. Toutefois je n'oublierai pas les urgences psychiatriques du dimanche qui sont souvent submergées de participants à des groupe de cri primal ou autre, ni encore le scandale de ce participant mort étouffé il y a quelques années à Dreux. Il devait renaître en s'extirpant d'une pile de matelas qui le recouvrait !
Nous allons rappeler plusieurs critères qui ont été perdus de vue dans ce genre de débats qui restent dans la sphère émotionnelle tant qu'elles se situent dans un rapport magique à la santé psychique.
Ce sont à mon avis les conditions sine qua non de la capacité à mener une psychothérapie telle que nous l'entendons maintenant, c'est-à-dire par des professionnels de la santé.
Je retiendrai donc :
1. Une formation universitaire théorico-pratique qui donne :
- Une formation à une approche thérapeutique spécifique
•- La capacité de poser un diagnostic, de le discuter pour envisager un pronostic et enfin poser une indication thérapeutique parmi un choix.
2. Une formation continue post-universitaire auprès de ses pairs ainsi qu'un travail sur soi spécifique à sa formation, sans oublier l'indispensable supervision.
Ph. S.