Revue rééducation orthophonique
Décembre 2013
N°256
Les traitements du bégaiement
Approches plurielles
L’humour à usage thérapeutique dans la thérapie du bégaiement
Article inséré sur ce site avec l’autorisation de l’éditeur
Patricia Oksenberg - Orthophoniste, Tel :01-47-31-51-97
Diplômée de Paris VI Pitié Salpetrière
Diplôme universitaire « bégaiement et troubles de la fluence » Paris V
Enseignante à paris VI à l’école d’orthophonie de Paris et au DU « bégaiement approches plurielles »
Résumé
L’humour à usage thérapeutique est un médiateur utilisé en orthophonie dans la thérapie du bégaiement.
Tout petit, l’enfant montre des dispositions pour utiliser l’humour.
Le rire provoque chez l’individu des bienfaits physiologique donnant des sensations agréables.
Dans la thérapie du bégaiement, l’humour permet au patient de prendre du recul face à son symptôme et d’éprouver du plaisir à sa thérapie.
Le rire permet un changement de perception. Les séances passent de tolérables à désirables.
Des approches centrées sur l’humour permettent au patient de parler avec plaisir et d’augmenter sa confiance en lui. Une intimité clinique est alors établie entre patient et orthophoniste contribuant
à la bonne marche de la thérapie.
Mots clés
Humour à usage thérapeutique, bienfait physiologique, confiance en soi, intimité clinique.
ABSTRACT:
The use of humour within therapy is a strategy which is increasingly being used in the clinical management of stuttering.
Young children show an ability to use humour.
Laughter is known to promote good physiological effects and pleasant sensations.
Within stuttering therapy, humour allows the patient to step back and to find enjoyment within their therapy journey.
Laughter allows changing perceptions. Tolerable therapy sessions become desirable.
Therapeutic techniques centred around humour allow the patient to enjoy speaking and also helps to increase their self confidence. Use of humour create clinical intimacy which leads to more
favourable clinical outcomes.
Key words:
Therapeutic use of humour. Good physiological effect. Self confidence. Clinical intimacy
Introduction
L’humour a toujours été le moyen le plus efficace pour prendre du recul, lorsque la vie ne se déroule pas exactement comme nous l’avions prévue.
Traiter ce qui nous préoccupe avec humour est le meilleur moyen de mettre à distance nos soucis et de commencer à lâcher-prise.
Depuis Freud et son ouvrage « le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient », (1905), il est admis que l’humour a une utilité dans toute thérapie.
L’humour serait la manipulation volontaire de ce qui semble incongru. Le décalage entre deux éléments en contradiction va entrainer chez celui qui écoute, le rire ou le sourire. C’est l’effet de
surprise qui est à l’origine de l’humour.
C’est avec beaucoup de bonheur, que ce médiateur est utilisé dans la thérapie du bégaiement, permettant au patient et à son orthophoniste, une alliance thérapeutique qui contribue à la bonne marche
de la thérapie.
Apparition de l’humour chez l’enfant
Selon le professeur Paul McGhee psychologue, chercheur américain spécialisé dans l’humour et le rire, les jeux de faire-semblant, marquerait la véritable naissance de l’humour chez l’enfant, vers les
20 mois.
Les plus petits (jusqu’à 2 ans) rient des jeux qui impliquent des gestes ou des objets (jeu du coucou par exemple), alors que vers 3 ans les enfants commencent à apprécier les jeux ayant une
dimension plus symbolique comme les jeux de mots. Les enfants ne rient que si l’adulte rit, ce qui montre la valeur sociale du rire, dès le plus jeune âge.
Le rire sert à l’échange, il se partage. Selon les travaux d’Elena Hoicka psychologue anglaise sur l’apparition de l’humour chez l’enfant ( 2012) le rire a une forte implication sociale.
L’ironie et le sarcasme arrivent plus tard car cela demande des compétences plus développées.
Paul McGhee a prouvé grâce à ses recherches que l’humour avait de multiples bénéfices. L’enfant va développer ses aptitudes verbales s’il s’entraine très tôt aux jeux de mots, au double sens.
McGhee montre que l’humour développe la créativité et le raisonnement.
A l’adolescence, l’humour va permettre au jeune de se socialiser avec ses pairs. En général, les adolescents montrent une grande créativité dans leurs trouvailles humoristiques, et expriment ainsi
leur fantasmes, tentant ainsi de réduire leurs angoisses, notamment en ce qui concerne la sexualité :
« Pourquoi les Suisses mettent-ils trois préservatifs l’un sur l’autre ? Pour que le deuxième reste propre ! »
Ces jeux de questions /réponses leur permet de s’intégrer dans les groupes de jeunes.
Henri Danon Boileau psychiatre à Paris, précise que l’humour permet aux adolescents de gagner en autonomie et de mieux définir leur identité. En effet l’humour est une des bases des compétences
relationnelles. L’humour permet les activités sociales et également d’être populaire et apprécié de ses pairs. Rire facilite les relations avec les autres.
Bienfait physiologique de l’humour
Le Dr Paul Mcghee oriente sa recherche sur l’humour à usage thérapeutique, il a écrit en 2010 un livre nommé « Humor » qui explique comment le rire peut améliorer la santé.
Des modifications chimiques apparaissent dans le corps, lorsqu’on rit, réduisant ainsi le niveau de stress.
Quand on rit, le sang circule plus rapidement. Le cerveau est mieux oxygéné et libère des endorphines, des substances de plaisir et de bien-être. Rire entraîne aussi la libération de dopamine, un
neurotransmetteur impliqué dans les sensations de plaisir.
Richard Wiseman, psychologue anglais, rapporte que dans les années 60, James Laid lors de sa thèse pour son doctorat de psychologue clinicien, a demandé à des volontaires de sourire ou de froncer les
sourcils.
Les participants s’étaient sentis largement plus heureux lorsqu’ils s’étaient forcés à sourire et plus irrités lorsqu’ils fronçaient les sourcils.
Il semble que sourire fait ressentir des émotions positives.
Allan Reiss et ses collègues de l’université Stanford en Californie (Etats-Unis) ont travaillé sur les différents états du cerveau lors de périodes de dépression et de bien-être. L’équipe a
sélectionné seize volontaires au total. On leur a montré des dessins animés plus ou moins comiques et on a scanné leur cerveau par imagerie à résonance magnétique (IRM). Les chercheurs ont constaté
que l’humour stimulait les mêmes zones de récompense dans le cerveau que la cocaïne ou les amphétamines, ce qui ne manque pas d’ironie. Allan Reiss espère que ses travaux aideront à mieux lutter
contre la dépression.
Le rire est en effet considéré comme un bon antidépresseur.
Début de l’humour en thérapie
Freud parle déjà d’humour à usage thérapeutique dans son livre « le mot d’esprit et ses rapport avec l’inconscient ( 1905) ». Il arrive à la conclusion que « l'humour est la contribution apportée au
comique par l'intermédiaire du surmoi »
Freud contribue à l'élaboration du concept d'humour dans sa dimension psychanalytique en mettant l'accent sur l'analyse des processus qui le sous-tendent. Il expose qu’avoir recours à l’humour permet
de s’épargner certains affects traumatiques. Une mise à distance des émotions permet à l’individu de mieux vivre les moments angoissant de son existence. Fruit d'un véritable travail psychique, il
met en oeuvre des mécanismes - tels le déplacement et surtout la condensation - également propres à l'élaboration onirique.
Ainsi les évènements extérieurs ne peuvent atteindre l’individu de manière excessive.
On prête à Ray Charles grand jazz man afro-américain, cette répartie à un journaliste qui le plaignait d’être aveugle « cela aurait pu être pire, j’aurai pu être Noir ! »
Ce mécanisme de défense contre la souffrance, ce vecteur de mise en mots de l'angoisse, tire sa valeur adaptative dans le fait même d'éviter le refoulement, en mettant le moi à l'écart des exigences
de la réalité.
Ainsi toutes les catastrophes ou presque ont leur lots de bonnes histoires.
De même des blagues professionnelles circulent permettant de se mettre à distance en tant que thérapeute et d’être plus à même de prendre du recul.
Cette blague circule dans le milieu des soignants : un paranoïaque regarde un plan de la ville. Tout à coup voyant la mention « vous êtes ici », il s’écrit mais « comment le savent-ils ? »
Le travail de Freud autorise ainsi le thérapeute dès les années 1900 à utiliser l’humour dans sa pratique curative.
D’ailleurs savez-vous comment un psychanalyste change une ampoule ? Et bien il se demande d’abord si elle souhaite être changée !
Utilisation de l’humour dans les discours
Un psychiatre américain, le docteur Drew Westen prétend que ce sont les hommes politiques qui savent raconter des histoires et déclencher des affects, qui gagnent en politique.
Il est aussi admis que commencer un discours avec un « open joke » une blague de départ, va permettre de capter l’attention de l’auditoire. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis les hommes politiques et les
chefs d’entreprise commencent régulièrement leurs discours par une bonne plaisanterie.
Les « rieurs » sont toujours du côté de celui qui a su les faire rire.
Ainsi aussi bien lors d’une conférence ou d’un cours nous savons tous que faire rire l’auditoire, permet de mieux faire passer ses idées, tout simplement parce que l’auditoire est détendu et
attentif.
Humour à usage thérapeutique
En psychothérapie, il est reconnu que l’humour aide les patients et leur permet d’avoir de meilleurs objectifs.
Selon le professeur Gérald Hüther neurobiologiste allemand, le cerveau est déterminé par la façon dont en s’en sert, la structure et l’organisation interne de notre cerveau s’adaptent très facilement
à ce qu’on fait, pense, vit, ou apprend avec enthousiasme. Hüther soutient que le cerveau est façonné particulièrement par l’enthousiasme avec lequel on l’utilise.
Il est certain que travailler dans une ambiance légère et amusante, va susciter de l’enthousiasme auprès de tous les participants.
L’humour est l’un des outils psychothérapeutiques systémiques, considéré par Mony Elkaïm (psychiatre Belge) comme « l’un des outils les plus fréquemment utilisés par les thérapeutes systémiques
».
Mony Elkaïm afin d’expliquer la notion de double contrainte a recours à cette blague, d’une mère qui offre deux cravates à son fils, une rouge et une bleue et qui lorsque son fils arbore la bleue le
week-end suivant, lui dit «Je savais bien que tu n’aimais pas la cravate rouge ! ».
Grâce à cette blague, tout est dit, et il est facile pour ses étudiants de comprendre ainsi le concept de la double contrainte contenue dans cette dernière phrase ainsi que la culpabilité que va
ressentir le fils qui est coincé.
Certains programmes d’aide aux parents utilisent aussi l’humour.
Le programme nommé « Love and Logic» présente des similitudes avec ce que nous pouvons préconiser dans l’accompagnement parental des enfants qui bégaient. Ce programme américain existe depuis 1977.
Il a été conçu par une équipe de deux psychologues (Jim Fay, Foster Cline), afin d’aider les parents à réagir lorsque les enfants les provoquent. C’est aussi une philosophie qui consiste à toujours
réagir en douceur, mais avec logique. Je t’aime mais je suis logique !
L’humour utilisé dans cette méthode permet souvent aux parents de ne pas perdre leur calme et de modifier une situation de crise en situation amusante.
Par exemple, pour faire remarquer aux enfants qu’ils n’ont pas rangé comme il le fallait leurs jouets sans s’énerver, et au contraire avec amusement et plaisir, il est demandé aux parents de prendre
plusieurs photos des jouets, en désordre, puis de demander aux enfants de regarder les photos et d’y déceler les 7 erreurs.
Pour les enfants hospitalisés, les pédiatres font venir dans leur service des clown spécialisés. Les cliniclowns sont des clowns qui ont une formation pour accompagner les enfants malades
hospitalisés.
Ils témoignent que les enfants traumatisés par des évènements tragiques, se confient plus volontiers, après avoir ri.
En orthophonie aussi l’utilisation de l’humour nous permet d’avoir de bons résultats.
Lorsqu’on s’occupe d’enfants à hauts potentiels quel que soit leur pathologie orthophonique, nous avons l’habitude d’utiliser l’humour de façon quasi instinctive.
Ces enfants du fait de leur fonctionnement neurologique, peuvent sombrer dans la mélancolie. Mais rapidement on s’aperçoit que l’humour permet à ces enfants de ne pas basculer dans un état dépressif.
L’humour, dont ils sont dotés très jeunes et qui leur permet de prendre du recul avec leurs affects.
Les orthophonistes sensibles à leur humour et qui en utilise également se rendent compte que la thérapie s’en trouve facilitée.
L’utilisation de l’humour dans la thérapie du bégaiement est ancienne, déjà en 1967, Van Ripper, orthophoniste américain, disait déjà que l’humour dans la thérapie faisait diminuer le
bégaiement.
Rire de soi permet de guérir, nous dit Joseph Agius, orthophoniste maltais.
En réalité peu d’orthophonistes n’utilisent jamais l’humour dans la thérapie du bégaiement. Cet outil semble souvent aller de soi. C’est un procédé très naturel qui arrive au cours de la thérapie. Il
est intéressant, maintenant de l’utiliser comme outil thérapeutique et non juste pour détendre l’atmosphère.
D’autant qu’avoir recours à l’humour au cours de la thérapie rend la séance agréable aussi bien pour le patient que pour l’orthophoniste. L’enthousiasme des thérapeutes va contribuer à la bonne
marche de la thérapie.
Anthony, 15 ans, qui a un bégaiement très sévère, s’est adressé en présence de sa mère à une vendeuse. La vendeuse a eu un air très étonné et embarrassée lorsqu’Anthony s’est mis subitement à ne plus
pouvoir avancer dans sa phrase.
En sortant de la boutique la mère était très ennuyée pour son fils. Mais Anthony s’est écrié « Elle a paniqué atrocement la dame ! La pauvre ! » S’en est suivi un fou rire salvateur entre mère et
fils, le premier concernant le bégaiement d’Anthony. Pouvoir en rire a permis à la mère et à l’adolescent de se distancier du symptôme.
L’humour utilisé lors de la thérapie du bégaiement est l’objet de recherche depuis 1980. On sait que l’utilisation de l’humour en thérapie augmente la confiance en soi du patient.
Ainsi Gauthier qui avait de très bonnes dispositions en mathématiques et un sens de la répartie qui ne demandait qu’à s’exprimer, a un jour osé demander à passer au tableau pour un exercice
d’algèbre.
Pendant son oral, il s’est mis à bégayer fortement restant bloqué sur un mot. Le professeur lui a alors demandé d’arrêter de bégayer. «Tout de suite, monsieur » a répondu Gauthier, tout à coup très
fluent «si vous me dites comment faire ! »
Les travaux de neurosciences de Catherine Neumann (2012, chercheuse allemande) sur la restauration spontanée d’une parole fluente chez des patients adultes, nous apprennent à quoi les adultes qui ont
eu une récupération spontanée de leur fluence, attribuent cette restauration.
Ce qui est très souvent cité est le fait d’avoir une meilleure confiance en soi, parfois du fait de réussites sociales, parfois de réussites personnelles.
Il apparait alors qu’utiliser l’humour en thérapie pourrait aussi en augmentant la confiance en soi permettre aux patient d’avoir une parole plus fluente.
Il s’agit aussi toujours d’un humour respectueux du patient, se moquer, ridiculiser ou utiliser le sarcasme aurait l’effet inverse.
Joseph Agius a fait une conférence à Tours au colloque de l’IFA en juillet 2012, dont le thème était humour et bégaiement. Il explique que l’humour contribue à la bonne marche de la thérapie.
L’humour rend pour le patient, l’expérience de la thérapie, de tolérable à désirable.
L’humour utilisé au cours d’une séance, permet au patient et à son orthophoniste de se détendre et de passer un bon moment. De ce fait le thérapeute va avoir une attitude authentique, sans jugement
et empathique face à son patient. Cette approche qui est centrée sur le patient n’est pas sans rappeler les trois attitudes clé du thérapeute décrite par Carl Rogers : congruence ou capacité à être
authentique, regard positif et compréhension empathique.
Le fait de permettre à nos patients d’être eux-mêmes, va leur permettre d’être plus empathiques avec les autres mais aussi avec eux même. L’acceptation (et non la résignation) de leur trouble s’en
trouve facilitée.
Pratiquer une pointe d’humour lors d’une consultation peut tout changer. Le patient nous dit Agius, aura envie de revenir car il aura ri.
J’ajouterai qu’un patient avec lequel nous rions, nous permet de nouer un lien thérapeutique plus fort, d’accéder à une intimité clinique entre patient et thérapeute.
L’humour va être utilisé alors de façon subtile durant l’entretien par l’orthophoniste, puis le patient s’autorise aussi à y mettre sa créativité :
« Bonjour Alain, comment allez-vous ? » Ai-je demandé à un adulte. « Toujours bègue » me répond-il avant de rire de son audace.
Lors d’une réunion d’adultes qui bégaient, Georges me dit « Avez-vous conscience, que vous êtes la seule personne fluente. Vous êtes la minorité, Patricia. »
Certes cette perception du bégaiement a donné une nouvelle couleur à cette réunion. Tous les patients ont osé prendre la parole. Les personnes qui bégayaient étaient en majorité. Avoir ri de cela a
permis de ne plus se préoccuper de la fluence de sa parole.
Le fait d’utiliser un mode de communication léger et amusant, va permettre au patient qui bégaie de ne pas utiliser tout son espace mental à s’observer parler afin d’avoir une parole la plus lisse
possible. Au contraire le patient va faire l’expérience de penser au sens de ce qu’il dit, ce qui de ce fait diminuera le taux de disfluence.
« Je vais vous raconter ce qui est arrivé au travail » me dit Hoaï, au début d’une séance, « vous allez rire : les commerciaux m’ont demandé de les aider à convaincre le client ! Avec mes séances je
deviens un expert de la communication, avec ou sans bégaiement »
Un lien selon Agius existe entre humour et altruisme. Pratiquer l’humour nous ouvre au monde.
Pour cet orthophoniste tout est question de perception, c’est la façon dont on vit les choses qui va nous les faire percevoir comme bonnes ou mauvaises. Et nous pouvons utiliser notre humour et notre
créativité pour changer notre perception lorsque nous commençons à mal vivre les choses.
C’est ce qu’Agius appelle le « ha ha ha » thérapeutique.
Il donne l’exemple de cette blague :
Un bébé moustique, à qui sa mère demande si son premier vol s’est bien passé a répondu : « formidable, tout le monde m’applaudissait ! » Tout est donc question de perception selon Joseph Agius.
Ce conférencier sait bien capter son auditoire en en racontant des blagues qui illustrent ses recherches. On imagine bien que ses patients ne perdent pas un mot de ses explications.
Recherche sur le changement de perception
Joseph Agius a mené une recherche avec 30 enfants d’âge scolaire, qui bégaient, séparés en deux groupes 15 enfants faisant partie du groupe expérimental et 15 du groupe contrôle).
La question soulevée lors de cette recherche appelé « Think smart ; feel smart » est : « est-ce qu’un programme qui s’attaquerait à la perception, changerait la perception qu’ont les enfants de leur
bégaiement. »
Pour cette étude il a utilisé le matériel « Thinking skills tools » du Dr Edward de Bono qui propose aux enfants 9 minutes de brainstorming pour changer de perception. Chaque séance est précédée de
relaxation.
-Par exemple pour ou contre avoir 10 € par semaine pour aller à l’école ?
Pendant trois minutes on note tout ce qui peut être contre :
(Mes parents ne m’achèteraient plus de cadeaux, les grands nous attaqueraient pour avoir l’argent…)
Pendant trois minutes on note tout ce qui peut être pour :
(Je pourrais disposer de mon argent…)
Pendant trois minutes on note les points qui semblent intéressants.
Finalement au bout de ces 9 minutes, la majorité des enfants étaient contre. Ils ont changé leur perception.
L’échelle CAT (communication attitude test), donne pour résultat une amélioration de la perception du bégaiement de ces enfants.
Ainsi pour les patients, changer de perception à propos de leur bégaiement où même changer d’idée quant à la façon dont le traiter, arriver à envisager les séances avec humour va permettre
l’acceptation du trouble et du changement.
Agius explique que lorsqu’on rit ou qu’on se souvient d’un moment qui nous a fait rire, on ressent un certain bien-être propice à la thérapie. Il est impossible d’être déprimé en racontant un moment
qui nous a fait rire. Les sentiments négatifs sont pour un moment dissous. Le rire bloque les cognitions négatives.
Je me souviendrais longtemps de cette conférence de Joseph Agius à Anvers (congrès de la fluence, 2010) où il a demandé à l’assistance de se raconter deux à deux un évènement qui les avait fait
rire
Les histoires dans toutes les langues, fusaient de partout et tout le monde riait.
Il est sûr que nous nous sentions tous très bien.
Pratiquer l’humour, lors de la thérapie fait baisser le stress du patient et augmente ses capacités d’attention.
Le travail sur les habiletés de communication est alors accueilli facilement.
Proposer d’utiliser l’humour durant les séances d’orthophonie, permet d’être moins sensibles à la moquerie, surtout à l’adolescence.
La gélotophobia est la peur de la moquerie.
Les gens atteints de gélotophobia ont des sentiments de honte et peu d’émotions joyeuses. Même le rire social peut être touché : ces personnes sont sensibles à la taquinerie. (Agius)
L’échelle PhoPhiKat comprend 30 items qui mesurent l’acceptation de la moquerie.
Ceux qui sont très sensibles à la moquerie sont plus stressés et ont des comportements négatifs. Le fait de les faire rire en thérapie va entraîner des émotions joyeuses qui permettent un glissement
progressif positif. Les stimuli comportant de l’humour permettent ce glissement et fait baisser l’anxiété.
Ainsi Yann adolescent de 17 ans très sensible à toute réflexion concernant sa parole et prenant mal les commentaires même positifs de ses proches a répondu à un ami qui constatait qu’il ne
l’entendait pas bégayer : « ben oui, j’ai décidé d’arrêter ! ».
Quelques mois plus tôt il avait dit de sa mère qui le félicitait, d’être aussi fluent : «Ce que je comprends, c’est que lorsque je lui parle, elle n’entend que ça, l’état de ma parole »
Le glissement positif avait pu s’opérer grâce aux jeux humoristiques et à au fait que Yann s’est révélé avoir beaucoup d’humour et trouver très gratifiant que je ris de ses blagues, même s’il
bégayait.
Applications à des jeux humoristiques à usage thérapeutiques
Un des aspects le plus créatif du langage est l’humour et comme dans le bégaiement l’aspect plaisir de la communication peut-être oublié, travailler avec humour, permet d’être créatif et de restituer
la parler-plaisir.
Une plaisanterie qui marche bien est une création, c’est un moment de triomphe. Grâce à ces créations que sont le mot d’esprit ou la plaisanterie, l’estime de soi augmente. C’est encore plus fort
lorsque les blagues nous permettent de transgresser la censure, ou si la blague est totalement absurde.
Beaucoup de patients qui accèdent facilement à l’humour durant les séances, vont être fiers de voir un orthophoniste et vont commencer à en parler autour d’eux.
Ce sentiment est encore plus intense quand nous réussissons à plaisanter d’une situation angoissante ou déprimante, ainsi les blagues sur le bégaiement sont très libératrices pour les patients ou les
parents des patients qui bégaient. Les sentiments négatifs disparaissent à ce moment-là, laissant place à un sentiment de bonheur.
Lors d’un contrôle d’identité, Antoine a qui un policier a demandé s’il était ivre a dit, le regard malicieux « Non monsieur, j’ai l’air saoul, mais en réalité je suis bègue »
« Ah désolé, monsieur, a dit le policier, je ne m’en étais pas rendu compte »
L’humour utilisé pour la réponse a créé un lien entre Antoine et le policier qui l’a vraiment écouté.
L’humour utilisé dans l’entraînement théâtral à visée thérapeutique
Sylvie Golomer orthophoniste française, dans son mémoire en vue de l’obtention du diplôme de DU « bégaiement, approches plurielles » (2013) a fait un travail de recherche concernant l’entraînement
théâtral dans le cadre de la thérapie du bégaiement. Dans cette pratique l’humour est utilisé de façon subtile à des fins thérapeutiques.
L’entrainement théâtral a pour objectif de mettre l’acteur en condition, de l’y maintenir et de l’amener à une découverte de lui-même de plus en plus fine et de plus en plus précise. L’entrainement
comprend à la fois une série d’exercices ainsi qu’un travail sur le jeu dramatique.
On peut attribuer au théâtre de précieux avantages comme celui d’être un outil de travail qui décentre la personne de son bégaiement. Son grand point fort serait l’aspect ludique, humoristique et
dédramatisant qui permettrait de repousser les limites et de découvrir l’étendue de ses possibilités d’expression. L’expression théâtrale utilisée avec humour à des fins thérapeutiques permettrait
ainsi au patient qui bégaie de mieux communiquer.
Cet humour qui émerge spontanément lors de l’entraînement théâtral va donner envie au patient d’aller plus loin ressentant alors une certaine légèreté qui lui permet d’oublier la forme de sa
parole.
Le patient se met à parler de plus en plus et ainsi à augmenter son temps de parole en dehors du cabinet de son orthophoniste.
Jouer sur les mots : les petits papiers
Le patient et l’orthophoniste piochent au hasard un mot préalablement écrit par chacun sur un petit papier, et l’insèrent dans une phrase qu’il invente par libre association d’idées.
« Parler ce n’est pas mettre en mots sa pensée mais créer des images dans la tête de l’autre » nous dit le docteur François le Huche à chaque atelier qu’il anime.
Ce jeu va aider les patients qui bégaient à se représenter ce qui se passe dans la tête de l’autre. Au début du jeu beaucoup d’adultes cherchent à dire quelque chose de sérieux, d’intelligent. Mais
lorsque le thérapeute aborde les phrases avec humour, le patient commence à se laisser aller. Le rire qui surgit parfois, permet de créer un climat de légèreté propice au bon déroulement de la
thérapie. En outre avec ce jeu, on peut travailler également des habiletés de communication.
J’ai proposé ce jeu, pour un atelier dans le cadre de l‘association parole bégaiement. Le public était à moitié personnes bègues et à moitié thérapeutes. De plus il y avait deux enfants parmi les
adultes et les adolescents.
Nous ne savions plus qui était qui au bout de 5 minutes, une jeune adulte a eu un tel fou-rire libérateur, que tout le monde a ri et se sentait vraiment bien.
Qui a bégayé ? Personne ne le sait, ce qui a compté de cette expérience c’est qu’on a tous passé un très bon moment. Un moment créatif, léger et amusant.
Proposer un atelier « fluidité des mots grâce à l’humour » aurait pu bloquer les personnes qui bégaient, elles auraient pu choisir un autre atelier où il n’y avait pas à parler. Mais en réalité
personne n’a pensé qu’il allait devoir parler. Tout le monde s’est dit « je vais rire ! ».
La clown thérapie adaptée au traitement du bégaiement.
Honoré Ardisson dans son mémoire en vue de l’obtention du diplôme de DU « bégaiement, approches plurielles » (2013) a fait un travail de recherche qui inclue la thérapie par le clown dans son
traitement du bégaiement.
Il nous apprend que la thérapie par le clown consiste en une forme d’art-thérapie et utilise comme médiateur particulier le clown. Elle a comme objectif de proposer un allègement et une ouverture du
patient vers un mieux-être avec lui et avec l’autre.
L’idée du clown dans l’esprit du grand public avoisine celle du clown de cirque ou du bouffon. Il en va tout autrement en thérapie. Le clown est cette partie du sujet à la fois la plus originale et
la plus personnelle, la plus intime et la plus expressive qui est déjà en nous.
Par le jeu, le plaisir de l'expression, voire de l’exagération des émotions, il est possible d’introduire le rire, la fantaisie et le rêve malgré des situations de souffrance. Le clown ne banalise
pas cette souffrance, ni ne contourne les émotions. Le clown en thérapie ne se met pas en action dans le but de faire rire à tout prix. Il ne s’agit pas là d’une thérapie par le rire. Mais ce clown
participe à ce qui est vécu dans une forme liée à l’imaginaire sans jugement aucun. Enfin, ce clown cherche à créer du lien avec l’autre dans une optique de chaleur humaine par un mode d’expression à
la fois ludique, léger et humoristique. Toutes les émotions peuvent alors être exprimées.
Le clown est un être empathique et curieux. Il ne craint pas de perdre la face et sa position nous permet de réaliser la rigueur de nos rôles sociaux, de s’en distancer un instant et d’en rire.
L’état de clown s’apparente à un état de jeu, de rencontre et d’ouverture à la surprise. Il donne alors de l’espace, de la liberté, du mouvement et soutient le processus thérapeutique du
patient.
Les résultats de son enquête montrent que les jeunes patients (tous adolescents ou jeunes adultes) se prêtent volontiers au jeu.
Ils gagnent tous en expressivité et en confiance en soi. Encore une fois, l’humour triomphe des pensées dépressives liées au bégaiement.
L’improvisation théâtrale
Les jeux d’improvisation sont très différents des jeux de rôle qu’on propose lors des groupes thérapeutiques. On ne demande pas aux patients de jouer leur propre rôle, mais au contraire de se créer
un personnage qui pourra aller très loin dans l’imaginaire et se permettre toutes les audaces. Le but recherché est de faire travailler les habiletés de communication dans une ambiance
détendue.
Le fait de travailler ainsi les intentions de parole en public permet à chacun d’entendre sa propre voix exprimer divers sentiments, ce qui est un premier pas vers le plaisir de parler.
Le rire procuré par les situations cocasses inventées par les patients, va permettre aux participants de s’enhardir et de mettre à distance le bégaiement en utilisant eux-mêmes l’humour à usage
thérapeutique. Le plaisir et la joie sont des facettes essentielles de l’humour, qu’on l’entende ou qu’on le pratique. Les compétences humoristiques sont associées à une meilleure reconnaissance de
ses propres émotions et permettent de consolider son estime de soi. L’humour permet également de mieux réagir face aux événements stressants.
En 2009 une de mes vidéos a obtenu un prix au festival audiovisuel de Nancy. Le film montre des adolescents qui bégaient, utiliser l’humour lors d’improvisations théâtrales, où ils évoquent avec
beaucoup de recul leur bégaiement.
Les thèmes proposés aux adolescents sont humoristiques et leur permettent de mettre à distance leur bégaiement grâce à l’humour qu’ils vont développer et les réactions enthousiastes de ceux qui les
regardent jouer.
Ce genre de thème n’est proposé que lorsque les adolescents ont déjà expérimenté beaucoup de situations de parole plus anodines leur ayant déjà permis d’être dans le «parler-plaisir » et non dans le
«parler-utile ».
Les adolescents inventent des saynètes très fantaisistes, mais dans le fond ils parlent bien du bégaiement et de sa difficulté à vivre avec.
La vidéo réalisé avec les adolescents nous montre comment le fait de jouer avec les mots et de rire de son bégaiement peut être libérateur et thérapeutique.
Dans les différentes saynètes, on voit les adolescents jouer des rôles extravagants, comme professeur de bégaiement, ministre de la communication, metteur en scène en recherche d’acteur qui sache
bégayer, vendeur d’idée.
Les adolescents ayant participé à ce projet ont tous vu leur confiance en eux augmenter et ont accueilli avec humour et légèreté les exercices de fluence. Finalement ils ont tous témoigné avoir
amélioré leur qualité de vie.
L’humour permet d’augmenter son estime de soi.
Avancée de la thérapie du bégaiement
Utiliser l’humour permet au patient et au thérapeute de se focaliser sur tous les aspects positifs de la communication du patient.
David Shapiro propose à ses patients de noter dans un carnet tous les moments de la journée où ils ont été fluents, ceci afin de les encourager à changer la perception qu’ils ont de leur parole,
Joseph Agius va plus loin, il leur demande de noter les moments où ils ont ri. Cette façon de procéder ressemble à ce qui est préconisé dans la psychologie positive. La psychologie positive lancée
officiellement dans le monde universitaire aux Etas Unis dans les années 2000, propose de se concentrer sur ce qui va bien plutôt que sur ce qui ne va pas.
Si le patient rit durant ses séances, il souhaite revenir et fait vraiment confiance au thérapeute. Ainsi l’acceptation du trouble et des outils thérapeutiques proposés sera amélioré, et les patients
ne perdront pas de temps à se méfier des techniques proposées par son orthophoniste pour mieux communiquer.
Mathieu, jeune adulte a dit au cours d’une séance qu’avant la thérapie, il avait peur qu’on rit de son bégaiement, alors que maintenant il souhaitait qu’on en rit avec lui. Tout avait changé pour
lui, le bégaiement n’était plus un sujet déprimant l’empêchant d’avancer dans la vie.
Le patient va se mettre à accepter plus facilement la vie telle qu’elle se présente et va accroître son niveau d’optimisme et en même temps sa qualité de vie.
Des changements dans les comportements sociaux vont s’opérer. La personne va plus facilement vivre avec elle-même et avec autrui.
Pour certains, rire en thérapie va permettre d’avoir peu à peu une parole fluente, pour d’autres cela va leur permettre d’accueillir facilement toutes les techniques que nous leur proposons.
Conclusion
L’utilisation de l’humour dans la thérapie du bégaiement va permettre au patient de changer la perception qu’il a de son trouble et de diminuer l’anxiété liée au bégaiement.
Le fait de rire va renforcer les liens entre l’orthophoniste et son patient, et va ajouter de la légèreté à la thérapie.
Cependant, utiliser l’humour à usage thérapeutique, ne veut pas dire passer son temps de thérapeute à s’amuser avec ses patients. Le travail en amont doit être solide.
Pour que la thérapie fonctionne, il faut que l’orthophoniste puisse au cours des séances proposer un délicieux cocktail de sérieux et de légèreté.
Patricia Oksenberg